Traditions du Jour des Morts 30 Octobre - 1er Novembre
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Traditions du Jour des Morts 30 Octobre - 1er Novembre
Italie
Les Benandanti : rites de récoltes et batailles fantomatiques
En 1580, dans la région du Frioul (Italie), au plus fort des procès pour sorcellerie instrumentalisés par l'Inquisition romaine, l'interrogatoire inquisitorial d'un crieur public local produisit le témoignage inquiétant suivant : "… pendant les Jours Sombres*, la nuit, je vais de manière invisible en esprit tandis que le corps reste en place ; nous allons au service du Christ et des sorcières du diable ; nous nous battons, nous avec des fagots de fenouil et elles avec des tiges de sorgho. "
* "Jours Sombres" est une altération de la phrase latine Quatuor Tempora, qui signifie simplement "quatre fois", dans la mesure où les Jours Sombres (ou encore de Braise) sont célébrés quatre fois par an. Avant la révision du calendrier liturgique de l'Église catholique en 1969 (coïncidant avec l'adoption du Novus Ordo), l'Église célébrait les Jours Sombres (ou de braise) quatre fois par an. Ils étaient liés au changement des saisons, mais aussi aux cycles liturgiques de l'Église. Ces Jours Sombres étaient : les mercredi, vendredi et samedi après le premier dimanche de carême ; le mercredi, le vendredi et le samedi après la Pentecôte ; les mercredi, vendredi et samedi après le troisième dimanche de septembre (et non, comme on le dit souvent, après la fête de l'Exaltation de la Sainte Croix ) ; et les mercredi, vendredi et samedi suivant la fête de Sainte Lucie (13 décembre).
Une bataille spirituelle nocturne entre "bonnes" et "mauvaises" sorcières parmi de vastes champs de cultures aux marqueurs saisonniers tout au long de l’année est une image particulièrement séduisante à l’approche de la saison automnale, mais ses origines profondes dans la pratique folklorique pré-chrétienne sont peut-être encore plus intrigantes. La curiosité des Inquisiteurs perturbés a été attisée lorsque des témoins ont par la suite affirmé qu'ils voyaient et communiquaient avec les esprits au nom de leurs parents vivants.
Les femmes ont témoigné avoir chevauché toute la nuit au milieu d'une grande horde avec la déesse Diane, tandis que d'autres affirmaient pouvoir se transformer en animal comme un chat, une souris ou, les chevaucher lors de leurs excursions. De ces actes nocturnes professés, certains visant à assurer la fertilité des cultures, étaient bien plus que de simples traditions de récolte ou une superstition paysanne.
Cividale del Friuli où se sont déroulées bon nombre des premières procédures inquisitoriales relatives aux benandanti.
En effet, les paysans qui se croyaient partis en procession pour des batailles cérémoniales s’appelaient eux-mêmes benandanti i.e. les "bons marcheurs", comme le décrivait en détails Carlo Ginzburg dans son célèbre livre controversé de 1966 ,The Night Battles. Basé sur des recherches dans les archives inquisitoriales, le livre raconte l'histoire d'un culte paysan de la fertilité centré sur les benandanti. Ces hommes et ces femmes se considéraient comme des anti-sorciers professionnels, qui (dans des états de rêve) ont apparemment mené des batailles rituelles contre des sorciers et des sorcières, afin de protéger leurs villages et leurs récoltes. S'ils gagnaient, la récolte serait bonne, s'ils perdaient, c'était la famine assurée. Les Inquisiteurs ont essayé de les intégrer dans les images préexistantes qu'ils se faisaient du sabbat des sorcières. Le résultat de cet affrontement culturel qui a duré plus d’un siècle a été la lente métamorphose des benandanti en leurs ennemis - les sorciers(ères). Carlo Ginzburg montre clairement comment cette transformation de la notion populaire de sorcellerie a été manipulée par les Inquisiteurs et diffusée dans toute l'Europe et même dans le Nouveau Monde.
Culte agraire de chrétiens toujours intimement liés à la culture païenne, les benandanti n'étaient pas un cas unique. Leurs coutumes faisaient partie des vestiges de pratiques païennes ancestrales préservées au cours du Moyen Âge et de la Renaissance, mais l'une d'elles deviendra partie intégrante de la tradition d'Halloween : la procession des morts.
Rituel de fertilité ou devoir chrétien ?
Bien que les affirmations formulées par les benandanti lors d'un examen inquisitoire soient parfois peu clairs, il existait quelques croyances fondamentales dans leur tradition agraire. Le but initial des simulations de batailles menées au sein des cultures était, d’une part, et d'autre part, d’assurer la fertilité des cultures et une récolte abondante. Le benandanti, comme l'a affirmé le crieur public, se battait quatre fois par an contre les mauvais(es) sorciers(ères) (malandanti) "pour tous les fruits de la terre et ce que les benandanti ont gagné cette année-là, c'était l'abondance".
D'autre part, l'objectif agricole des rites était souvent associé à un objectif résolument chrétien : lutter "pour la foi du Christ". Les benandanti, dont beaucoup se croyaient spécialement choisis par Dieu, ont souligné que la protection des cultures à travers ces rituels agraires se faisait au service de Dieu.
Dans son étude de 1966, Ginzburg spécifia que peut-être la christianisation des rites s’est développée afin de préserver une tradition non orthodoxe du contrôle de l’Eglise, ou c’est le résultat final de nombreuses années de participation de paysans chrétiens honnêtes désirant servir Dieu en préservant la moisson.
Certains témoins de la procédure benandanti ont affirmé que les participants à ces rites de fertilité, hommes et femmes, étaient tous nés "avec le capuchon"* ou avec un morceau de la membrane amniotique enveloppant encore la tête. Dans le Frioul, et même au-delà, la superstition suggérait que ceux qui étaient nés avec le capuchon, étaient destinés à devenir des sorciers(ères). Encore une fois, il semblerait qu'il y ait une contradiction apparente, alors, que les benandanti étaient au service de Dieu, ces naissances étaient considérées par les benandanti comme un signe d’élection par Dieu. On disait que les benandanti portaient leurs coups aux combats et que des messes étaient parfois célébrées sur ces coups afin d'accroître leur pouvoir.
* Les membranes protègent le bébé des traumatismes liés à la naissance. En fait, les légendes racontent que les bébés nés de cette façon, sont dotés de pouvoirs spéciaux en matière de chance, d'affinité avec l'eau et la voyance.
Certains benandanti et plus particulièrement des femmes, ont pris part à d'autres pratiques telles que la médecine traditionnelle et la communication spirituelle. En 1582, une certaine Aquilina d'Udine fut interrogée par l'Inquisition après que cette dernière ait appris qu'elle pratiquait à la fois l'art de guérir et la profession de voyante. Cependant, Aquilina nia férocement d'être un benandante ou une sorcière, mais les Inquisiteurs persistèrent dans leur enquête.
Une autre femme de Cividale, Caterina la Guercia, a été accusée de pratiquer la sorcellerie et l'Inquisition lui demanda si elle était également une benandante. La réponse que Caterina fournit aux inquisiteurs prouva qu'il y avait un lien certain entre les benandanti et la notion de sorcellerie de l'Église : "Non monsieur, pas moi, je ne suis pas une des benandanti, mais mon mari décédé l'était ; il avait l'habitude d'aller en procession avec les morts."
Certains benandanti ont affirmé qu'ils assistaient à des rituels, parfois spirituellement parlant, sous la forme d'un animal , laissant leur corps immobile à la maison. Une femme a déclaré s'être réveillée la nuit à côté de son mari benandante en déclarant : "Et même si je l'ai appelé dix fois et que je l'ai secoué, je n'ai pas réussi à le réveiller." Pour les inquisiteurs, les suggestions répétées de procession d'esprits ont transformé le benandanti dans quelque chose de beaucoup plus inquiétant que la simple pratique populaire.
Par conséquent, les benandanti présentaient un dilemme. Étaient-ils des serviteurs de Dieu, comme ils le prétendaient, ou étaient-ils des sorciers(ères) ? En fin de compte, ce sont les rassemblements nocturnes eux-mêmes qui ont donné lieu à des accusations de sorcellerie de la part des représentants de l'Église. Le sabbat des sorcières était un motif de longue date de l'Inquisition, et certains éléments des rituels benandanti, en particulier les allusions aux vols spirituels, aux rituels nocturnes, étaient familiers aux inquisiteurs déterminés à les associer à la sorcellerie.
Cependant, les descriptions des batailles rituelles dans les champs ne ressemblaient guère au sabbat des sorcières et les benandanti prétendaient lutter contre les sorcières pour Dieu et pour les récoltes. En dépit de ces faits, les inquisiteurs ont estimé qu’ils avaient suffisamment de raisons, comme l’a noté Ginzburg, d’apposer sur ces premiers procès faits au bendandanti, l’étiquette "Processus haeresis contra quosdam strigones", ou "procès d'hérésie contre certains(nes) sorcières".
Les processions des morts dans le folklore européen
Comme les Inquisiteurs le savaient bien, les excursions spirituelles n'étaient pas propres aux benandanti. Plusieurs centaines d'années avant les procès faits au Benandanti, un motif folklorique similaire décrivant des processions spectrales et des récits de "voyages mystérieux de femmes pendant les nuits de la période des Jours Sombres ou de braise" selon Ginzburg, s'était développé à partir de racines anciennes et s'était répandu à travers l'Europe.
Pour les folkloristes modernes comme Ginzburg, qui l’a tout d’abord connecté à la tradition benandanti, il est connu sous le nom de Chasse Sauvage : un défilé effréné d’esprits dans une campagne boisée et désolée ou, dans le ciel nocturne en automne et en hiver. Dans le folklore germanique du Moyen Âge, la "Horde Sauvage" ou "Armée déchaînée", pouvait être une troupe de soldats tués au combat, un groupe de chasseurs ou les esprits nonchalants de "Briseurs de Sabbat" prédisant ou induisant activement une catastrophe par leur seule apparence.
Aux Jours Sombres ou de braise, qui étaient les mêmes jours sacrés que ceux des benandanti, on disait qu'ils parcouraient la campagne accompagnés de chevaux spectraux et de chiens de rabattage, parfois dirigés par une figure païenne comme celle d'Herodiade* ou de Diane et qui finirent par devenir le diable sous l'influence de l'Église. Comme avec les femmes benandanti, c’est Herodiade et Diane-Hécate qui auraient dirigé les hordes des esprits de sorcières dans le ciel nocturne dès le Ve siècle, témoignant de l’antique procession de la Chasse Sauvage et ses éléments folkloriques.
* Connue dans la tradition chrétienne pour avoir demandé et obtenu la tête de Jean-Baptiste.
La Grande-Bretagne, l'Irlande et la péninsule ibérique avaient également leur part de cavalcades fantomatiques. Dans l'Angleterre du XIIè siècle, la Chasse Sauvage était connue sous le nom de Herlething, une armée de chevaux, de chiens de chasse et de chasseurs dirigée par le légendaire roi Herla (ou occasionnellement Arthur). Herla est étroitement lié au dieu teutonique* Woden, ou Oddhin, l'un des chefs fantômes de la Chasse Sauvage dans la mythologie germanique et nordique.
* Les Teutons étaient les voisins directs des Vikings.
Dans les armées fantômes nocturnes, l’historien français Claude Lecouteaux associe la Chasse sauvage au mythe celtique du Sluagh Sidhe, une multitude de morts qui errent en Irlande pendant le festival celtique de Samhain (31 octobre - 1er novembre). Un collectionneur de folklore gaélique du XIXè siècle, Alexander Carmichael, a écrit à propos d'une observation particulière du Sluagh sur l'île écossaise de Benbecula, selon laquelle "une multitude d'esprits" passait avec "des chiens de chasse et des faucons à portée de main".
Bien que certaines sources comme celle de Carmichael, voient divers motifs de chasse dans le Sluagh, dans l’Irlande christianisée les esprits avaient tendance à être considérés comme des pécheurs impitoyables, assoiffés de nouvelles âmes s’échappant par les fenêtres occidentales de leurs cottages. On peut comparer les légendes moins sinistres de la Galicie (Espagne) médiévale de Santa Compaña, qui parlent de sombres marches d'esprits ancestraux perdus, parfois appelées les "nocturnes".
Bien que laissant de côté certains motifs des légendes de la Chasse Sauvage, ces histoires conservent des éléments essentiels des traditions folkloriques européennes des processions spectrales, pour finalement se retrouver sous ces formes dans les ères pré-modernes et modernes.
La vénération des ancêtres est-elle à la racine des cultes de fertilité et des processions fantomatiques ?
Essayons de voir la tradition de la procession spectrale à travers les yeux de ceux qui l’ont vécue. Sabine Baring-Gould, une antiquaire et folkloriste du XIXè siècle, a écrit que les légendes de la Chasse Sauvage étaient inspirées du monde naturel : la migration nocturne et hivernale d'oies fauves klaxonnantes dans le nord de l'Europe. Pourtant, même un examen superficiel de ces mythes révèle un sens bien supérieur à un cas trivial de phénomènes naturels erronés.
Certaines conceptions des défilés nocturnes étaient de toute évidence une source d’effroi pour la population locale. Le mythe gallois de Gabriel's Hounds, ou de Cŵn Annwn, par exemple, soutient qu'une observation des chiens spectraux signifie une calamité future pour son témoin. Cependant, parmi beaucoup de ces cultures, une procession des morts ne visait pas uniquement à semer la peur dans le cœur du peuple, mais à servir de rappel - ou d'avertissement sévère - pour se souvenir de ses ancêtres et de ses racines, un peu comme le festival celte de Samhain avant sa transformation en la nuit d’Halloween moderne, remplie de bonbons et de méfaits.
Il n’est donc pas surprenant que M. Lecouteaux, qui établit un lien étroit entre la fertilité agricole et les processions d’ancêtres décédés, situe la Chasse Sauvage dans les traditions du culte et de la fertilité des ancêtres d’Europe du Nord.
Par conséquent, pour bien saisir la nature de ces mythes de processions spirituelles, il faut considérer le rôle puissant de la vénération des ancêtres et de la fertilité des cultures qui en découlent et qui sont au centre de la religion, de la culture pré-chrétiennes et indo-européennes. Les rites de la moisson, les récits de terreur, les rituels pour les morts et les traditions des sorcières dans l'Europe chrétienne, sont des milliers d'années de dévotion ancestrale, et cette dévotion reste peut-être à la base des pratiques de fertilité qui subsistaient, troublant les inquisiteurs de l'Église.
Sabbat
La fin des benandanti
Quant aux benandanti italiens, leur fin progressive est intervenue après plusieurs décennies d'activité inquisitoriale. La pression exercée par les inquisiteurs pour assimiler leurs croyances à la notion de sorcellerie de l'Église, a entraîné l'abandon des rituels du culte d'origine. Bien que quelques personnes prétendant être des benandanti fassent des apparitions sporadiques dans des récits ultérieurs, le but initial du rite agricole avait disparu dans la seconde moitié du XVIIè siècle.
"J'ai entendu les chiens hurler pendant la nuit au clair de lune ;
Je suis allé à la fenêtre pour voir la vue ;
Tous les morts que j'aie jamais connus y
allaient un à un et deux à deux. ”
( William Allingham, "The Dream")
Victimes d'arrogance et de cruauté : les procès des sorcière de 1612
Bien qu'Allingham ait écrit son poème au XIXe siècle, il s’appuyait sur des siècles de croyances populaires européennes qui décrivaient des processions nocturnes. Le poème se termine sur une note mélancolique alors qu'Allingham se lamente en oubliant la chanson que chantaient ses proches parmi les morts, reflétant le même genre de nostalgie des défunts qui semble sous-tendre nombre des légendes susmentionnées du Moyen Âge et de la Renaissance .
Les histoires de morts marchant semblent refléter le désir inné des humains d'apprécier et de comprendre les morts qui nous ont précédés. Ils nous rappellent sombrement non seulement notre destin ultime, mais également des cycles sans fin de la Nature : vie, mort et renaissance.
Ainsi, alors que nous entrons dans les longues nuits d’automne, il serait peut-être sage de se rappeler les automnes solitaires des années passées, où le sifflement de la brise fraîche ou le tremblement des feuilles sèches pourraient être confondus avec les sons sinistres des esprits qui passent, anciens dieux ou benandanti se dirigeant vers les champs pour ramasser les tiges de fenouil et se préparer au combat.
Les Benandanti : rites de récoltes et batailles fantomatiques
En 1580, dans la région du Frioul (Italie), au plus fort des procès pour sorcellerie instrumentalisés par l'Inquisition romaine, l'interrogatoire inquisitorial d'un crieur public local produisit le témoignage inquiétant suivant : "… pendant les Jours Sombres*, la nuit, je vais de manière invisible en esprit tandis que le corps reste en place ; nous allons au service du Christ et des sorcières du diable ; nous nous battons, nous avec des fagots de fenouil et elles avec des tiges de sorgho. "
* "Jours Sombres" est une altération de la phrase latine Quatuor Tempora, qui signifie simplement "quatre fois", dans la mesure où les Jours Sombres (ou encore de Braise) sont célébrés quatre fois par an. Avant la révision du calendrier liturgique de l'Église catholique en 1969 (coïncidant avec l'adoption du Novus Ordo), l'Église célébrait les Jours Sombres (ou de braise) quatre fois par an. Ils étaient liés au changement des saisons, mais aussi aux cycles liturgiques de l'Église. Ces Jours Sombres étaient : les mercredi, vendredi et samedi après le premier dimanche de carême ; le mercredi, le vendredi et le samedi après la Pentecôte ; les mercredi, vendredi et samedi après le troisième dimanche de septembre (et non, comme on le dit souvent, après la fête de l'Exaltation de la Sainte Croix ) ; et les mercredi, vendredi et samedi suivant la fête de Sainte Lucie (13 décembre).
Une bataille spirituelle nocturne entre "bonnes" et "mauvaises" sorcières parmi de vastes champs de cultures aux marqueurs saisonniers tout au long de l’année est une image particulièrement séduisante à l’approche de la saison automnale, mais ses origines profondes dans la pratique folklorique pré-chrétienne sont peut-être encore plus intrigantes. La curiosité des Inquisiteurs perturbés a été attisée lorsque des témoins ont par la suite affirmé qu'ils voyaient et communiquaient avec les esprits au nom de leurs parents vivants.
Les femmes ont témoigné avoir chevauché toute la nuit au milieu d'une grande horde avec la déesse Diane, tandis que d'autres affirmaient pouvoir se transformer en animal comme un chat, une souris ou, les chevaucher lors de leurs excursions. De ces actes nocturnes professés, certains visant à assurer la fertilité des cultures, étaient bien plus que de simples traditions de récolte ou une superstition paysanne.
Cividale del Friuli où se sont déroulées bon nombre des premières procédures inquisitoriales relatives aux benandanti.
En effet, les paysans qui se croyaient partis en procession pour des batailles cérémoniales s’appelaient eux-mêmes benandanti i.e. les "bons marcheurs", comme le décrivait en détails Carlo Ginzburg dans son célèbre livre controversé de 1966 ,The Night Battles. Basé sur des recherches dans les archives inquisitoriales, le livre raconte l'histoire d'un culte paysan de la fertilité centré sur les benandanti. Ces hommes et ces femmes se considéraient comme des anti-sorciers professionnels, qui (dans des états de rêve) ont apparemment mené des batailles rituelles contre des sorciers et des sorcières, afin de protéger leurs villages et leurs récoltes. S'ils gagnaient, la récolte serait bonne, s'ils perdaient, c'était la famine assurée. Les Inquisiteurs ont essayé de les intégrer dans les images préexistantes qu'ils se faisaient du sabbat des sorcières. Le résultat de cet affrontement culturel qui a duré plus d’un siècle a été la lente métamorphose des benandanti en leurs ennemis - les sorciers(ères). Carlo Ginzburg montre clairement comment cette transformation de la notion populaire de sorcellerie a été manipulée par les Inquisiteurs et diffusée dans toute l'Europe et même dans le Nouveau Monde.
Culte agraire de chrétiens toujours intimement liés à la culture païenne, les benandanti n'étaient pas un cas unique. Leurs coutumes faisaient partie des vestiges de pratiques païennes ancestrales préservées au cours du Moyen Âge et de la Renaissance, mais l'une d'elles deviendra partie intégrante de la tradition d'Halloween : la procession des morts.
Rituel de fertilité ou devoir chrétien ?
Bien que les affirmations formulées par les benandanti lors d'un examen inquisitoire soient parfois peu clairs, il existait quelques croyances fondamentales dans leur tradition agraire. Le but initial des simulations de batailles menées au sein des cultures était, d’une part, et d'autre part, d’assurer la fertilité des cultures et une récolte abondante. Le benandanti, comme l'a affirmé le crieur public, se battait quatre fois par an contre les mauvais(es) sorciers(ères) (malandanti) "pour tous les fruits de la terre et ce que les benandanti ont gagné cette année-là, c'était l'abondance".
D'autre part, l'objectif agricole des rites était souvent associé à un objectif résolument chrétien : lutter "pour la foi du Christ". Les benandanti, dont beaucoup se croyaient spécialement choisis par Dieu, ont souligné que la protection des cultures à travers ces rituels agraires se faisait au service de Dieu.
Dans son étude de 1966, Ginzburg spécifia que peut-être la christianisation des rites s’est développée afin de préserver une tradition non orthodoxe du contrôle de l’Eglise, ou c’est le résultat final de nombreuses années de participation de paysans chrétiens honnêtes désirant servir Dieu en préservant la moisson.
Certains témoins de la procédure benandanti ont affirmé que les participants à ces rites de fertilité, hommes et femmes, étaient tous nés "avec le capuchon"* ou avec un morceau de la membrane amniotique enveloppant encore la tête. Dans le Frioul, et même au-delà, la superstition suggérait que ceux qui étaient nés avec le capuchon, étaient destinés à devenir des sorciers(ères). Encore une fois, il semblerait qu'il y ait une contradiction apparente, alors, que les benandanti étaient au service de Dieu, ces naissances étaient considérées par les benandanti comme un signe d’élection par Dieu. On disait que les benandanti portaient leurs coups aux combats et que des messes étaient parfois célébrées sur ces coups afin d'accroître leur pouvoir.
* Les membranes protègent le bébé des traumatismes liés à la naissance. En fait, les légendes racontent que les bébés nés de cette façon, sont dotés de pouvoirs spéciaux en matière de chance, d'affinité avec l'eau et la voyance.
Certains benandanti et plus particulièrement des femmes, ont pris part à d'autres pratiques telles que la médecine traditionnelle et la communication spirituelle. En 1582, une certaine Aquilina d'Udine fut interrogée par l'Inquisition après que cette dernière ait appris qu'elle pratiquait à la fois l'art de guérir et la profession de voyante. Cependant, Aquilina nia férocement d'être un benandante ou une sorcière, mais les Inquisiteurs persistèrent dans leur enquête.
Une autre femme de Cividale, Caterina la Guercia, a été accusée de pratiquer la sorcellerie et l'Inquisition lui demanda si elle était également une benandante. La réponse que Caterina fournit aux inquisiteurs prouva qu'il y avait un lien certain entre les benandanti et la notion de sorcellerie de l'Église : "Non monsieur, pas moi, je ne suis pas une des benandanti, mais mon mari décédé l'était ; il avait l'habitude d'aller en procession avec les morts."
Certains benandanti ont affirmé qu'ils assistaient à des rituels, parfois spirituellement parlant, sous la forme d'un animal , laissant leur corps immobile à la maison. Une femme a déclaré s'être réveillée la nuit à côté de son mari benandante en déclarant : "Et même si je l'ai appelé dix fois et que je l'ai secoué, je n'ai pas réussi à le réveiller." Pour les inquisiteurs, les suggestions répétées de procession d'esprits ont transformé le benandanti dans quelque chose de beaucoup plus inquiétant que la simple pratique populaire.
Par conséquent, les benandanti présentaient un dilemme. Étaient-ils des serviteurs de Dieu, comme ils le prétendaient, ou étaient-ils des sorciers(ères) ? En fin de compte, ce sont les rassemblements nocturnes eux-mêmes qui ont donné lieu à des accusations de sorcellerie de la part des représentants de l'Église. Le sabbat des sorcières était un motif de longue date de l'Inquisition, et certains éléments des rituels benandanti, en particulier les allusions aux vols spirituels, aux rituels nocturnes, étaient familiers aux inquisiteurs déterminés à les associer à la sorcellerie.
Cependant, les descriptions des batailles rituelles dans les champs ne ressemblaient guère au sabbat des sorcières et les benandanti prétendaient lutter contre les sorcières pour Dieu et pour les récoltes. En dépit de ces faits, les inquisiteurs ont estimé qu’ils avaient suffisamment de raisons, comme l’a noté Ginzburg, d’apposer sur ces premiers procès faits au bendandanti, l’étiquette "Processus haeresis contra quosdam strigones", ou "procès d'hérésie contre certains(nes) sorcières".
Les processions des morts dans le folklore européen
Comme les Inquisiteurs le savaient bien, les excursions spirituelles n'étaient pas propres aux benandanti. Plusieurs centaines d'années avant les procès faits au Benandanti, un motif folklorique similaire décrivant des processions spectrales et des récits de "voyages mystérieux de femmes pendant les nuits de la période des Jours Sombres ou de braise" selon Ginzburg, s'était développé à partir de racines anciennes et s'était répandu à travers l'Europe.
Pour les folkloristes modernes comme Ginzburg, qui l’a tout d’abord connecté à la tradition benandanti, il est connu sous le nom de Chasse Sauvage : un défilé effréné d’esprits dans une campagne boisée et désolée ou, dans le ciel nocturne en automne et en hiver. Dans le folklore germanique du Moyen Âge, la "Horde Sauvage" ou "Armée déchaînée", pouvait être une troupe de soldats tués au combat, un groupe de chasseurs ou les esprits nonchalants de "Briseurs de Sabbat" prédisant ou induisant activement une catastrophe par leur seule apparence.
Aux Jours Sombres ou de braise, qui étaient les mêmes jours sacrés que ceux des benandanti, on disait qu'ils parcouraient la campagne accompagnés de chevaux spectraux et de chiens de rabattage, parfois dirigés par une figure païenne comme celle d'Herodiade* ou de Diane et qui finirent par devenir le diable sous l'influence de l'Église. Comme avec les femmes benandanti, c’est Herodiade et Diane-Hécate qui auraient dirigé les hordes des esprits de sorcières dans le ciel nocturne dès le Ve siècle, témoignant de l’antique procession de la Chasse Sauvage et ses éléments folkloriques.
* Connue dans la tradition chrétienne pour avoir demandé et obtenu la tête de Jean-Baptiste.
La Grande-Bretagne, l'Irlande et la péninsule ibérique avaient également leur part de cavalcades fantomatiques. Dans l'Angleterre du XIIè siècle, la Chasse Sauvage était connue sous le nom de Herlething, une armée de chevaux, de chiens de chasse et de chasseurs dirigée par le légendaire roi Herla (ou occasionnellement Arthur). Herla est étroitement lié au dieu teutonique* Woden, ou Oddhin, l'un des chefs fantômes de la Chasse Sauvage dans la mythologie germanique et nordique.
* Les Teutons étaient les voisins directs des Vikings.
Dans les armées fantômes nocturnes, l’historien français Claude Lecouteaux associe la Chasse sauvage au mythe celtique du Sluagh Sidhe, une multitude de morts qui errent en Irlande pendant le festival celtique de Samhain (31 octobre - 1er novembre). Un collectionneur de folklore gaélique du XIXè siècle, Alexander Carmichael, a écrit à propos d'une observation particulière du Sluagh sur l'île écossaise de Benbecula, selon laquelle "une multitude d'esprits" passait avec "des chiens de chasse et des faucons à portée de main".
Bien que certaines sources comme celle de Carmichael, voient divers motifs de chasse dans le Sluagh, dans l’Irlande christianisée les esprits avaient tendance à être considérés comme des pécheurs impitoyables, assoiffés de nouvelles âmes s’échappant par les fenêtres occidentales de leurs cottages. On peut comparer les légendes moins sinistres de la Galicie (Espagne) médiévale de Santa Compaña, qui parlent de sombres marches d'esprits ancestraux perdus, parfois appelées les "nocturnes".
Bien que laissant de côté certains motifs des légendes de la Chasse Sauvage, ces histoires conservent des éléments essentiels des traditions folkloriques européennes des processions spectrales, pour finalement se retrouver sous ces formes dans les ères pré-modernes et modernes.
La vénération des ancêtres est-elle à la racine des cultes de fertilité et des processions fantomatiques ?
Essayons de voir la tradition de la procession spectrale à travers les yeux de ceux qui l’ont vécue. Sabine Baring-Gould, une antiquaire et folkloriste du XIXè siècle, a écrit que les légendes de la Chasse Sauvage étaient inspirées du monde naturel : la migration nocturne et hivernale d'oies fauves klaxonnantes dans le nord de l'Europe. Pourtant, même un examen superficiel de ces mythes révèle un sens bien supérieur à un cas trivial de phénomènes naturels erronés.
Certaines conceptions des défilés nocturnes étaient de toute évidence une source d’effroi pour la population locale. Le mythe gallois de Gabriel's Hounds, ou de Cŵn Annwn, par exemple, soutient qu'une observation des chiens spectraux signifie une calamité future pour son témoin. Cependant, parmi beaucoup de ces cultures, une procession des morts ne visait pas uniquement à semer la peur dans le cœur du peuple, mais à servir de rappel - ou d'avertissement sévère - pour se souvenir de ses ancêtres et de ses racines, un peu comme le festival celte de Samhain avant sa transformation en la nuit d’Halloween moderne, remplie de bonbons et de méfaits.
Il n’est donc pas surprenant que M. Lecouteaux, qui établit un lien étroit entre la fertilité agricole et les processions d’ancêtres décédés, situe la Chasse Sauvage dans les traditions du culte et de la fertilité des ancêtres d’Europe du Nord.
Par conséquent, pour bien saisir la nature de ces mythes de processions spirituelles, il faut considérer le rôle puissant de la vénération des ancêtres et de la fertilité des cultures qui en découlent et qui sont au centre de la religion, de la culture pré-chrétiennes et indo-européennes. Les rites de la moisson, les récits de terreur, les rituels pour les morts et les traditions des sorcières dans l'Europe chrétienne, sont des milliers d'années de dévotion ancestrale, et cette dévotion reste peut-être à la base des pratiques de fertilité qui subsistaient, troublant les inquisiteurs de l'Église.
Sabbat
La fin des benandanti
Quant aux benandanti italiens, leur fin progressive est intervenue après plusieurs décennies d'activité inquisitoriale. La pression exercée par les inquisiteurs pour assimiler leurs croyances à la notion de sorcellerie de l'Église, a entraîné l'abandon des rituels du culte d'origine. Bien que quelques personnes prétendant être des benandanti fassent des apparitions sporadiques dans des récits ultérieurs, le but initial du rite agricole avait disparu dans la seconde moitié du XVIIè siècle.
"J'ai entendu les chiens hurler pendant la nuit au clair de lune ;
Je suis allé à la fenêtre pour voir la vue ;
Tous les morts que j'aie jamais connus y
allaient un à un et deux à deux. ”
( William Allingham, "The Dream")
Victimes d'arrogance et de cruauté : les procès des sorcière de 1612
Bien qu'Allingham ait écrit son poème au XIXe siècle, il s’appuyait sur des siècles de croyances populaires européennes qui décrivaient des processions nocturnes. Le poème se termine sur une note mélancolique alors qu'Allingham se lamente en oubliant la chanson que chantaient ses proches parmi les morts, reflétant le même genre de nostalgie des défunts qui semble sous-tendre nombre des légendes susmentionnées du Moyen Âge et de la Renaissance .
Les histoires de morts marchant semblent refléter le désir inné des humains d'apprécier et de comprendre les morts qui nous ont précédés. Ils nous rappellent sombrement non seulement notre destin ultime, mais également des cycles sans fin de la Nature : vie, mort et renaissance.
Ainsi, alors que nous entrons dans les longues nuits d’automne, il serait peut-être sage de se rappeler les automnes solitaires des années passées, où le sifflement de la brise fraîche ou le tremblement des feuilles sèches pourraient être confondus avec les sons sinistres des esprits qui passent, anciens dieux ou benandanti se dirigeant vers les champs pour ramasser les tiges de fenouil et se préparer au combat.
Freya- Messages : 1338
Date d'inscription : 24/08/2012
Localisation : Vosges
Re: Traditions du Jour des Morts 30 Octobre - 1er Novembre
Mexique
Jour des morts - souvenirs doux-amer des ancêtres décédés
Le célèbre Jour mexicain des morts représente une chose pour les citadins et une autre pour les campagnards. C'est une journée consacrée au souvenir aigre-doux des membres de la famille décédés. C'est aussi un jour joyeux pour beaucoup, en célébrant ces ancêtres qui ont laissé derrière eux une vie appréciée par leurs descendants.
Cette fête familiale se déroule sur deux jours, traditionnellement le 1er et le 2 Novembre. Le 1er Novembre, sont célébrées les âmes des enfants et des jeunes adultes. Il est appelé le jour des "petits anges" ou le jour des innocents, lorsque la famille dépose des jouets sur les tombes en versant des larmes. Le deuxième jour est celui des morts (Dia de Muertos) et est dédié aux adultes. Dans les Amériques, le culte des ancêtres est une tradition qui s'étend sur des milliers d'années. Ses racines s'étendent des cultures les plus anciennes du Pérou à la fin de la période aztèque (Mexique).
Jour des offrandes aux morts
Aux temps des Aztèques, la célébration avait lieu en août ; le 1er novembre, la Toussaint, vient de l'Espagne catholique. Traditionnellement, dans le nord du Mexique, l'après-midi du premier jour de fête, des autels privés avec des offrandes sont installés dans les maisons, les commerces et les lieux publics, afin de rendre hommage aux adultes décédés, témoignage des vivants aux morts de la famille proche et élargie.
Les offrandes vont des âmes vivantes aux âmes du passé, tandis que l'autel est dédié aux saints du credo. Les autels sont généralement constitués de sept niveaux, représentant les couches par lesquelles les âmes sont supposées voyager pour atteindre le monde souterrain, avant de s'élever pour reposer en paix dans le paradis des croyants.
Une profusion de fleurs pour attirer les âmes des morts est la marque du Jour des Morts ou Dia de los Muertos, à l'instar de produits frais et comestibles, gages d'une perpétuelle continuité de la vie. Parmi les fleurs se trouve le souci jaune appelé cempuazutchil en langue nahuatl, la langue aztèque qui signifie «vingt fleurs». On l'appelle aussi Fleur des Morts , car on pense qu'ils attirent les âmes et on pense que leurs pétales brillants, fortement odorants, guident les âmes vers leur tombe, leur dernière maison familiale. La couleur jaune est pour la terre et le blanc pour le ciel. La couleur pourpre associée à la fumée de l'encens de copal est destinée à attirer les esprits de passage. On voit parfois la photo d'un ancêtre parmi les fruits et les fleurs de la terre, rappel du retour éternel de la vie.
Dans les villes, pendant les deux premiers jours de commémoration, les membres de la famille assistent au service religieux et prient pour l’âme des membres de la famille qui sont décédés. Ils visitent ensuite le cimetière pour nettoyer et rafraîchir la tombe composée d'une dalle de béton et d'une petite structure avec une croix ou le symbole d'une autre croyance.
À ce moment-là, il est de coutume de manger et de boire les mets préférés des défunts près de la tombe, évocation de souvenirs doux-amers, avec des histoires du passé de l'âme qui attristeront ou élèveront l'esprit de la famille avec des cris de joie.
Les mausolées des ancêtres
Dans des petites villes telles que Pomuch, dans la municipalité de Hecelchakán, au Mexique, le jour des morts en langue maya yucatèque est appelé Hanal Pixán, ce qui signifie « nourriture pour les âmes». Selon la coutume locale, les ossements de certains ancêtres doivent être logés dans de petits mausolées en béton colorés.
Dans la structure sont logées de petites caisses en bois, d'environ 0,61 mètre x 0,91 mètre x 0,61 mètre dans lesquelles sont conservés les ossements d'ancêtres importants. En règle générale, la boîte est tapissée d'un fin tissu brodé à la main, parfois avec le nom du défunt, mais toujours avec des fleurs.
Cette tradition ressemble beaucoup à celle des anciennes pratiques de seconde sépulture que l’on trouve dans de nombreuses cultures du monde et de l’histoire, bien documentée dans les Amériques. L'enterrement primaire concerne la décomposition des tissus mous du corps.
Après deux ou trois ans, une fois la décomposition terminée, les os sont retirés, nettoyés et sauvegardés dans un cadre séparé mais permanent. Comme par le passé, tous les ancêtres passés ne sont pas considérés comme des ancêtres. Seuls les membres de la lignée qui ont laissé un impact significatif sur la cohésion de la famille, l’acquisition de ressources ou l’alliance de la lignée méritent d’être vénérés.
Au cours de la visite, les os sont soigneusement retirés de la caisse en bois, un à la fois par les descendants, lors de la prière ou du dialogue avec le défunt. Ils sont ensuite nettoyés doucement avec une brosse légère et ramenés dans la boîte alignée avec un chiffon fraîchement brodé à la main, jusqu'à l'année suivante : Hanal Pixán. Une cérémonie spéciale avec le même rituel peut également avoir lieu pour l'anniversaire du jour du décès du défunt.
Le second rituel funéraire a pour signification de vaincre la mort sociale par opposition à celle biologique. Tant que les descendants maintiennent leur relation, par des rituels, avec les défunts, ils établissent le fait que l'ancêtre n'est toujours pas «socialement mort», au sein de la famille, du clan et de la société. La seconde inhumation consacre donc les droits des membres survivants de la famille à des revendications socio-économiques, étayées par le soutien d'ancêtres «vivants».
"Lavage" des os.
Partage du Jour des Morts avec les proches disparus
Dans des villages plus traditionnels, tels que San Juan Chamula , Estado Chiapas au Mexique, la famille se rassemble autour de la tombe, une sépulture primaire faite d’un monticule de terre avec une croix à la tête. Le but de ce type de tombe, non recouverte par une pierre tombale, est que les membres de la famille mangent et boivent tout en laissant des morceaux de nourriture sur le monticule. Les tombes sont aspergées de mescal, de tequila ou d'autres boissons, telles que des jus de fruits ou des sodas préférés des défunts.
Le partage rituel de denrées alimentaires et de boissons, incantations aux ancêtres et aux divinités de la culture et de la croyance a ensuite lieu. On pense que «l'esprit», parfois appelé «ombre» de la nourriture et de la boisson, s'infiltre dans la tombe. Ce qui se passe est le partage rituel avec le défunt des espoirs, des joies et des préoccupations de la famille, tout en remerciant les défunts pour leur vie et celle de la famille ou du clan.
Il faut comprendre ici que «l' esprit » ne fait référence à aucun produit ou substance. C’est l’essence de l’aliment ou de la boisson, et le reflet de l’engagement émotionnel intense des membres de la famille pour le rituel et pour les défunts.
C'est aussi le moment où l'on introduit les nouveau-nés dans la famille, les descendants, continuité tangible de la chaîne de vie familiale. Les petits jouets peuvent ensuite être laissés sur le monticule pour les enfants, ou les outils à main utilisés par les adultes au cours de leur vie, porteurs de souvenirs et de tristesse.
Chaque province du Mexique et d’autres régions des Amériques a ses propres traditions et rituels commémorant le Jour des Morts, qui varient selon les régions et les cultures. Le dénominateur commun est le respect et l’affection des ancêtres, perpétués par les descendants conscients qu’ils ne sont qu’un maillon de la précieuse chaîne de la vie, des grands-parents aux petits-enfants, en passant par les parents. Cette prise de conscience est ancrée dans une logique ancestrale mais incontournable : pas d'ancêtres = pas de descendants = pas de vie !
Le rôle de la religion le Jour des Morts
La vénération des ancêtres ne se substitue pas à la religion établie sans distinction de croyance. La différence fondamentale entre le rôle de la religion et celui de la vénération des ancêtres est que le premier est collectif alors que le second est strictement personnel.
En d'autres termes, le culte des ancêtres repose uniquement sur les vivants qui reconnaissent les ascendants directs de la famille et personne d'autre. Toutes les croyances visent à répondre aux besoins spirituels d'une communauté homogène sur les plans culturel et linguistique.
La vénération des ancêtres n'exclut pas le culte religieux en tant que participation communautaire. L'antagonisme du culte des ancêtres par les conquérants espagnols du Nouveau Monde, a conduit à une répression brutale et à la fragmentation des sociétés et de leurs structures de croyances ancestrales. Les ancêtres vénérés, autrefois enfouis sous le plancher de la maison ou dans son voisinage immédiat, ont été relégués à la périphérie de la ville par les nouveaux venus.
Quand tradition et religion se mêlent.
La conception d'un cimetière collectif, loin du cœur de la communauté, était alors totalement étrangère aux sociétés précolombiennes. Les croyances organisées couvrent l’espace et le temps et se retrouvent partout dans le monde.
Elles sont la clé de voûte de la construction de communautés stables, car les religions répondent à l’état affectif de conscience des personnes en tant que groupe, une condition qui défie la conscience volontaire de chacun. Dans un passé pas si lointain, il excluait le culte des ancêtres en dehors d'une structure religieuse, car il était alors perçu comme une évasion de la religion par un individu et son potentiel de fragmentation socioculturelle.
À travers toutes les cultures passées et présentes, la croyance commune au cœur du culte des ancêtres et des croyances, au-delà de la survie sociale, est qu’elle défie et efface la crainte de l’oubli. Avec une structure laïque, les religions sont la pierre angulaire du développement communautaire humain.
Au sein d'une communauté et de son organisation religieuse, le culte des ancêtres peut toujours avoir une place. Il n'y a pas d'antagonisme, car la croyance en l'un ou l'autre ne s'exclue pas mutuellement. Après tout, l’enseignement de la persistance de la vie n’est-il pas au centre des deux ?
Le Jour des Morts concerne la célébration joyeuse de la vie ; on peut alors aussi l'appeler le Jour des ancêtres.
Jour des morts - souvenirs doux-amer des ancêtres décédés
Le célèbre Jour mexicain des morts représente une chose pour les citadins et une autre pour les campagnards. C'est une journée consacrée au souvenir aigre-doux des membres de la famille décédés. C'est aussi un jour joyeux pour beaucoup, en célébrant ces ancêtres qui ont laissé derrière eux une vie appréciée par leurs descendants.
Cette fête familiale se déroule sur deux jours, traditionnellement le 1er et le 2 Novembre. Le 1er Novembre, sont célébrées les âmes des enfants et des jeunes adultes. Il est appelé le jour des "petits anges" ou le jour des innocents, lorsque la famille dépose des jouets sur les tombes en versant des larmes. Le deuxième jour est celui des morts (Dia de Muertos) et est dédié aux adultes. Dans les Amériques, le culte des ancêtres est une tradition qui s'étend sur des milliers d'années. Ses racines s'étendent des cultures les plus anciennes du Pérou à la fin de la période aztèque (Mexique).
Jour des offrandes aux morts
Aux temps des Aztèques, la célébration avait lieu en août ; le 1er novembre, la Toussaint, vient de l'Espagne catholique. Traditionnellement, dans le nord du Mexique, l'après-midi du premier jour de fête, des autels privés avec des offrandes sont installés dans les maisons, les commerces et les lieux publics, afin de rendre hommage aux adultes décédés, témoignage des vivants aux morts de la famille proche et élargie.
Les offrandes vont des âmes vivantes aux âmes du passé, tandis que l'autel est dédié aux saints du credo. Les autels sont généralement constitués de sept niveaux, représentant les couches par lesquelles les âmes sont supposées voyager pour atteindre le monde souterrain, avant de s'élever pour reposer en paix dans le paradis des croyants.
Une profusion de fleurs pour attirer les âmes des morts est la marque du Jour des Morts ou Dia de los Muertos, à l'instar de produits frais et comestibles, gages d'une perpétuelle continuité de la vie. Parmi les fleurs se trouve le souci jaune appelé cempuazutchil en langue nahuatl, la langue aztèque qui signifie «vingt fleurs». On l'appelle aussi Fleur des Morts , car on pense qu'ils attirent les âmes et on pense que leurs pétales brillants, fortement odorants, guident les âmes vers leur tombe, leur dernière maison familiale. La couleur jaune est pour la terre et le blanc pour le ciel. La couleur pourpre associée à la fumée de l'encens de copal est destinée à attirer les esprits de passage. On voit parfois la photo d'un ancêtre parmi les fruits et les fleurs de la terre, rappel du retour éternel de la vie.
Dans les villes, pendant les deux premiers jours de commémoration, les membres de la famille assistent au service religieux et prient pour l’âme des membres de la famille qui sont décédés. Ils visitent ensuite le cimetière pour nettoyer et rafraîchir la tombe composée d'une dalle de béton et d'une petite structure avec une croix ou le symbole d'une autre croyance.
À ce moment-là, il est de coutume de manger et de boire les mets préférés des défunts près de la tombe, évocation de souvenirs doux-amers, avec des histoires du passé de l'âme qui attristeront ou élèveront l'esprit de la famille avec des cris de joie.
Les mausolées des ancêtres
Dans des petites villes telles que Pomuch, dans la municipalité de Hecelchakán, au Mexique, le jour des morts en langue maya yucatèque est appelé Hanal Pixán, ce qui signifie « nourriture pour les âmes». Selon la coutume locale, les ossements de certains ancêtres doivent être logés dans de petits mausolées en béton colorés.
Dans la structure sont logées de petites caisses en bois, d'environ 0,61 mètre x 0,91 mètre x 0,61 mètre dans lesquelles sont conservés les ossements d'ancêtres importants. En règle générale, la boîte est tapissée d'un fin tissu brodé à la main, parfois avec le nom du défunt, mais toujours avec des fleurs.
Cette tradition ressemble beaucoup à celle des anciennes pratiques de seconde sépulture que l’on trouve dans de nombreuses cultures du monde et de l’histoire, bien documentée dans les Amériques. L'enterrement primaire concerne la décomposition des tissus mous du corps.
Après deux ou trois ans, une fois la décomposition terminée, les os sont retirés, nettoyés et sauvegardés dans un cadre séparé mais permanent. Comme par le passé, tous les ancêtres passés ne sont pas considérés comme des ancêtres. Seuls les membres de la lignée qui ont laissé un impact significatif sur la cohésion de la famille, l’acquisition de ressources ou l’alliance de la lignée méritent d’être vénérés.
Au cours de la visite, les os sont soigneusement retirés de la caisse en bois, un à la fois par les descendants, lors de la prière ou du dialogue avec le défunt. Ils sont ensuite nettoyés doucement avec une brosse légère et ramenés dans la boîte alignée avec un chiffon fraîchement brodé à la main, jusqu'à l'année suivante : Hanal Pixán. Une cérémonie spéciale avec le même rituel peut également avoir lieu pour l'anniversaire du jour du décès du défunt.
Le second rituel funéraire a pour signification de vaincre la mort sociale par opposition à celle biologique. Tant que les descendants maintiennent leur relation, par des rituels, avec les défunts, ils établissent le fait que l'ancêtre n'est toujours pas «socialement mort», au sein de la famille, du clan et de la société. La seconde inhumation consacre donc les droits des membres survivants de la famille à des revendications socio-économiques, étayées par le soutien d'ancêtres «vivants».
"Lavage" des os.
Partage du Jour des Morts avec les proches disparus
Dans des villages plus traditionnels, tels que San Juan Chamula , Estado Chiapas au Mexique, la famille se rassemble autour de la tombe, une sépulture primaire faite d’un monticule de terre avec une croix à la tête. Le but de ce type de tombe, non recouverte par une pierre tombale, est que les membres de la famille mangent et boivent tout en laissant des morceaux de nourriture sur le monticule. Les tombes sont aspergées de mescal, de tequila ou d'autres boissons, telles que des jus de fruits ou des sodas préférés des défunts.
Le partage rituel de denrées alimentaires et de boissons, incantations aux ancêtres et aux divinités de la culture et de la croyance a ensuite lieu. On pense que «l'esprit», parfois appelé «ombre» de la nourriture et de la boisson, s'infiltre dans la tombe. Ce qui se passe est le partage rituel avec le défunt des espoirs, des joies et des préoccupations de la famille, tout en remerciant les défunts pour leur vie et celle de la famille ou du clan.
Il faut comprendre ici que «l' esprit » ne fait référence à aucun produit ou substance. C’est l’essence de l’aliment ou de la boisson, et le reflet de l’engagement émotionnel intense des membres de la famille pour le rituel et pour les défunts.
C'est aussi le moment où l'on introduit les nouveau-nés dans la famille, les descendants, continuité tangible de la chaîne de vie familiale. Les petits jouets peuvent ensuite être laissés sur le monticule pour les enfants, ou les outils à main utilisés par les adultes au cours de leur vie, porteurs de souvenirs et de tristesse.
Chaque province du Mexique et d’autres régions des Amériques a ses propres traditions et rituels commémorant le Jour des Morts, qui varient selon les régions et les cultures. Le dénominateur commun est le respect et l’affection des ancêtres, perpétués par les descendants conscients qu’ils ne sont qu’un maillon de la précieuse chaîne de la vie, des grands-parents aux petits-enfants, en passant par les parents. Cette prise de conscience est ancrée dans une logique ancestrale mais incontournable : pas d'ancêtres = pas de descendants = pas de vie !
Le rôle de la religion le Jour des Morts
La vénération des ancêtres ne se substitue pas à la religion établie sans distinction de croyance. La différence fondamentale entre le rôle de la religion et celui de la vénération des ancêtres est que le premier est collectif alors que le second est strictement personnel.
En d'autres termes, le culte des ancêtres repose uniquement sur les vivants qui reconnaissent les ascendants directs de la famille et personne d'autre. Toutes les croyances visent à répondre aux besoins spirituels d'une communauté homogène sur les plans culturel et linguistique.
La vénération des ancêtres n'exclut pas le culte religieux en tant que participation communautaire. L'antagonisme du culte des ancêtres par les conquérants espagnols du Nouveau Monde, a conduit à une répression brutale et à la fragmentation des sociétés et de leurs structures de croyances ancestrales. Les ancêtres vénérés, autrefois enfouis sous le plancher de la maison ou dans son voisinage immédiat, ont été relégués à la périphérie de la ville par les nouveaux venus.
Quand tradition et religion se mêlent.
La conception d'un cimetière collectif, loin du cœur de la communauté, était alors totalement étrangère aux sociétés précolombiennes. Les croyances organisées couvrent l’espace et le temps et se retrouvent partout dans le monde.
Elles sont la clé de voûte de la construction de communautés stables, car les religions répondent à l’état affectif de conscience des personnes en tant que groupe, une condition qui défie la conscience volontaire de chacun. Dans un passé pas si lointain, il excluait le culte des ancêtres en dehors d'une structure religieuse, car il était alors perçu comme une évasion de la religion par un individu et son potentiel de fragmentation socioculturelle.
À travers toutes les cultures passées et présentes, la croyance commune au cœur du culte des ancêtres et des croyances, au-delà de la survie sociale, est qu’elle défie et efface la crainte de l’oubli. Avec une structure laïque, les religions sont la pierre angulaire du développement communautaire humain.
Au sein d'une communauté et de son organisation religieuse, le culte des ancêtres peut toujours avoir une place. Il n'y a pas d'antagonisme, car la croyance en l'un ou l'autre ne s'exclue pas mutuellement. Après tout, l’enseignement de la persistance de la vie n’est-il pas au centre des deux ?
Le Jour des Morts concerne la célébration joyeuse de la vie ; on peut alors aussi l'appeler le Jour des ancêtres.
Freya- Messages : 1338
Date d'inscription : 24/08/2012
Localisation : Vosges
Re: Traditions du Jour des Morts 30 Octobre - 1er Novembre
Mexico : célébration du Jour des Morts 2019
Freya- Messages : 1338
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