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La culture comme propriété émergente : analogie

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Message  SFuchs Mar 10 Mai 2016 - 12:30

Bonjour à tous,

Je reviens sur un des sujets qui me tient à coeur (la sociologie) pour une reformulation analogique des mécanismes conduisant à l'apparition d'une culture.

A la relecture des passages d'Ilya Prigogine cités par Résurgence ici ou là, j'ai été à nouveau frappé par le parallèle qu'il était possible de faire entre les structures dissipatives loin de l'équilibre (dont les célèbres et explicites cellules de Bénard) et l'organisation sociale.

On peut ainsi décrire l'émergence d'une culture de la façon suivante : dans un groupe d'individu donné, les individus sont, chacun à leur échelle, tiraillés et déstabilisés par des contraintes qui peuvent aller jusqu'à menacer leur existence et leur intégrité. De la même façon que les molécules d'eau sont mises sous contrainte lorsque le volume d'eau est soumis à un réchauffement rapide. Or, on peut considérer que les cellules de Bénard, dont le corollaire est la corrélation à longue portée des molécules d'eau entre elles, sont une réponse collective à cet impératif d'évacuer efficacement la chaleur par l'établissement de cellules de convection. Tout se passe comme si les molécules d'eau coopéraient ensemble pour évacuer une quantité de chaleur qu'elles ne peuvent plus assumer ni évacuer individuellement, et qui remet en question leur structure (rupture des liens covalents des molécules d'eau par apport excessif d'énergie, puis évaporation).
D'une certaine façon, l'émergence culturelle au sein d'un groupe d'individus peut être analysé de ce même point de vue. Face aux contraintes et tiraillements divers supportés par chacun, pouvant aller jusqu'à remettre en cause l'intégrité de la personne, la culture apparaît comme un méta-niveau d'organisation, une figure de forme qui va permettre, moyennant coopération des individus sur la base d'une norme commune, de gérer plus efficacement ces tensions menaçant l'intégrité de chacun, et de faire reculer pour tous le point de rupture d'intégrité.
Tout comme les molécules d'eau se voient contraintes d'adopter la figure propre de la cellule de convection pour gérer collectivement et efficacement l'évacuation de la chaleur, les individus voient leurs comportements normalisés par la forme culturelle qui apparaît spontanément et qui permet de supporter les tensions latentes en faisant reculer le point de rupture d'intégrité pour chacun. En même temps que la culture sécurise l'individu dans son intégrité, elle contraint et normalise son action et son mode relationnel avec les individus qui l'entourent. Quant à l'aspect spécifique et particulier de la culture qui prend forme au sein d'une population donnée, elle dépend de variables d'environnements qui vont se comporter comme des éléments provoquant la bifurcation de la forme culturelle vers une forme ou une autre, de la même façon que le sens de rotation des cellules de Bénard va dépendre d'infimes informations de l'environnement qui vont induire une bifurcation des cellules dans un sens ou dans un autre du point de vue de leur rotation.
Ainsi, l'émergence culturelle est un phénomène universel en raison du fait que l'individu, au sein de son espèce et plus généralement de son environnement, est dans une situation de contrainte et de tiraillement permanent pour conserver son intégrité. Le passage au méta-niveau par une vie consentie en société fait partie des stratégies universelles pour répondre à ces contraintes. C'est ce qu'on appelle une société ou encore culture. Quant aux formes culturelles particulières, elles tirent leur source des informations d'environnement présentes qui joueront un rôle d'indicateur de direction aux points de bifurcations apparaissant dans une évolution culturelle, lui conférant une forme particulière.
Le phénomène culturel est universel, la forme culturelle est contingente et singulière. On peut trouver des grandes figures communes entre les différents cultures : l'apparition de normes, d'une clôture opérationnelle, de rites et de tabous universels car répondant à des impératifs de conservation d'espèce comme le meurtre ou l'inceste par exemple. Mais chaque culture possède également ses singularités suggérées par les variables d'environnement, comme par exemple le rôle compris de chaque figure au sein de la scène familiale (père, mère, aîné, cadet, fils/fille), les relations homme/femme, le rapport à l'environnement, au cosmos etc.
Le phénomène culturel, que l'on peut assimiler à la manifestation d'une corrélation à longue portée entre individus, est le signe que, comme le formule Ilya Prigogine, la matière sous contrainte se met à "voir" afin de trouver, au delà de son niveau propre, une réponse et une issue aux contraintes qui menacent son intégrité. D'une certaine façon, on peut considérer que la culture manifeste, de façon plus subtile qu'au seul niveau individuel, une dimension supplémentaire de l'esprit qui est en latence et non manifesté dans l'univers.
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Message  patanjali Mer 11 Mai 2016 - 7:49

Bonjour SFuchs,  

L’analogie de la société avec les structures dissipatives est valable. La société est un système complexe comme un autre. Mes comparaisons des structures dissipatives avec la biologie, la médecine et l’évolution de la civilisation m’ont conduit d’un modèle uniquement d’auto-organisation (MIF) dans le sens de la néguentropie à un modèle d’équilibre entre auto-organisation et autodestruction (SES), entre néguentropie et entropie.
La croissance et l’évolution vers des formes complexes (néguentropie) exige l’apport d’énergie comme dans l’expérience des cellules de Bénard. A l’opposé, La perte d’énergie conduit à la dégénérescence entropique. Je pense que l’instabilité et les bifurcations doivent être vues dans les deux sens en fonction des ressources d’énergie (cause efficiente), soit dans le sens de la croissance et complexification de l’organisation par apport de ressources, soit dans le sens de la dégénérescence par diminution et manque de ressources.

A mon avis, ton exposé met trop l’accent sur la contrainte. Prigogine explique l’instabilité induite par l’apport d’énergie par l’augmentation des degrés de liberté entre les parties, (une augmentation de leurs oscillations). Par analogie, l’augmentation des ressources économiques dans la société crée des opportunités et libertés d’action nouvelles. Au contraire, la diminution des ressources conduit aux contraintes, à l’austérité. C’est ce qui semble caractériser notre époque postmoderne et explique peut-être les idées de contrainte sociale qu’elle véhicule.

René Thom a décrit l’évolution des systèmes complexes en mathématique par sa théorie des catastrophes, par l’alternance entre stabilités et épisodes d’instabilités ou bifurcations appelées catastrophes.
Thomas Kuhn a décrit l’évolution des connaissances scientifiques par sa théorie des paradigmes. Les paradigmes sont des modèles de pensée par consensus de la communauté scientifique qui peuvent être contredits par des découvertes nouvelles, ce qui conduit au changement de paradigme.

L’adaptation des systèmes biologiques et sociologiques est l’objet de l’écologie scientifique (à distinguer de l’écologie politique). L’environnement est le système global dans lequel le système culturel particulier doit s’intégrer. Il est à la fois matière, énergie et information On peut par analogie, certes un peu trop schématiquement, décrire son influence culturelle par ces trois principes.

  • Les formes particulières des cultures sont liées surtout aux conditions stables de l’environnement : la terre, le climat, la topographie et la situation géostratégique. La culture est enracinée dans sa terre, (cause matérielle). Il existe des similitudes culturelles, de mentalité, de comportements, d’éthique comme des similitudes de flore et de faune, qui persistent à travers les âges dans un même territoire.
  • L’évolution des sociétés dépend des changements des ressources économiques (cause efficiente) qui provoquent des instabilités et bifurcations comme décrit ci-dessus.
  • Des événements ou des influences plus subtiles ou fortuits induisent le choix ou la forme culturelle particulière comme solution aux diverses possibilités de sortie de la bifurcation (cause formelle), par exemple des découvertes nouvelles et des apports culturels ou pratiques de civilisations voisines.
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Message  SFuchs Mer 11 Mai 2016 - 10:47

resurgence a écrit:Bonjour SFuchs,  
A mon avis, ton exposé met trop l’accent sur la contrainte. Prigogine explique l’instabilité induite par l’apport d’énergie par l’augmentation des degrés de liberté entre les parties, (une augmentation de leurs oscillations). Par analogie, l’augmentation des ressources économiques dans la société crée des opportunités et libertés d’action nouvelles. Au contraire, la diminution des ressources conduit aux contraintes, à l’austérité.

Oui, je suis tout à fait d'accord, c'est bien la notion d'augmentation des degrés de liberté (et non de contraite) qui est derrière celle d'instabilité, et donc d'opportunités et d'évolution.
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