L'ordre traditionnel de l'existence
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05052024
L'ordre traditionnel de l'existence
L’homme moderne d’éducation scientifique ne peut plus être convaincu par les monothéismes fondés sur les mythes et légendes d’une antiquité révolue, fussent-ils historiques. La science ne peut certes pas remplacer les religions, mais en complétant sa méthode de différenciation analytique par une logique d’intégration systémique, elle pourrait élever la compréhension du monde à une cosmologie holiste compatible avec les sagesses orientales intemporelles qui ne sont pas monothéistes mais monistes.
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Lorsqu’Alexandre Douguine évoque le "Sujet Radical", il l'oppose à l'"Objet Radical" du matérialisme scientifique et il reste dans le dualisme monothéiste entre un dieu unique supposé parfait et sa création imparfaite. Mais le dualisme monothéiste est précédé dans l’ordre et la chronologie par le monisme. Dans la hiérarchie des nombres de la Tétraktys pythagoricienne le Deux logique est précédé par le Un cosmique et le Un cosmique est précédé par l'indéfinissable Origine du Tao .
Le Tao te king dit: "Le Tao engendre le Un, le Un engendre le Deux, le Deux engendre le Trois et le Trois engendre toutes les choses."
L’ordre du monde que les pythagoriciens ont symbolisé par celui des nombres de la Tétraktys est fondé sur une triade métaphysique représentée de différentes manières par toutes les philosophies et traditions antiques.
LE UN est l’Unité cosmique
Dans la haute Antiquité des troisième et deuxième millénaires av.J.-C. , avant que les Hébreux ne créent le monothéisme en monopolisant leur dieu (VIIe siècle av.J.-C.), la conception de l'univers était moniste: le monde est l'émanation d'une Origine spirituelle secrète appelée Tao en Chine, Amon, le "caché" en Égypte et Ahura Mazda, la "Divine sagesse", par Zarathoustre en Perse.
L'Univers est unique et il n'existe qu'un seul ordre cosmique. De ce point de vue il n'y a pas de divergence entre la Science et la Tradition. La différence vient de l'approche. La Science cherche l'unité par la différenciation analytique du réel et aboutit à l'insignifiance de l'infiniment petit, y cherchant la "particule de dieu". La Tradition cherche l'unité par l'intégration, remontant de la perception du phénomène à l’origine secrète de la connaissance, au Tao que Wilhelm a traduit par le SENS. La Tradition ne fait pas la distinction entre le réel et la connaissance, tous deux émanant de la même origine selon les mêmes lois.
L’origine secrète du monde est indéfinissable comme le zéro et l'infini. Ce n’est pas un dieu créateur anthropomorphe qui parle à son peuple. Les religions issues de la spiritualité antique sont monistes. La divine lumière est indéfinissable. Le cardinal Nicolas de Cusa, légat du pape en mission à Byzance, a eu pendant le voyage de retour une vision de l’origine divine qu’il a exprimée par la "coïncidence des opposés" et par une définition de dieu par négations (théologie apophatique) qui n’a plus rien de commun avec le monothéisme.
"Plus absolu que la vérité est le concept qui rejette les deux opposés aussi bien disjonctivement que conjonctivement. A la question 'si dieu existe', on ne pourra donc pas répondre autrement qu'en répétant à l'infini qu'il est ni existant ni non existant et aussi qu'il est à la fois existant et non-existant. Ceci est la réponse la plus élevée, la plus simple, la plus absolue et la plus appropriée à toute question concernant cet Être Premier, très simple et ineffable."
On peut comprendre cette définition comme celle de possibilités indéfinies dans le sens étymologique du mot "toute-puissance".
Les civilisations monothéistes de l’Antiquité pouvaient être polythéistes, mais les dieux communautaires étaient considérés comme des émanations de l’origine secrète. La spiritualité ne se laisse pas encadrer par des doctrines, son approche est réservée aux initiés et son éthique naturelle est simple: selon Zarathoustra, vénérer la Divine Sagesse (Ahura Mazda) c’est respecter et défendre la vie sous toutes ses formes. Mais les religions sont un phénomène social nécessaire, elles ont besoin de règles morales pour gérer leur communauté.
LE DEUX est le Pouvoir de distinction intellectuelle
Le Deux est la différenciation intellectuelle de l’Unité en Sujet et Objet que le Samkhya représente par Purusha et Prakriti. C'est une dualité, une unité des contraires. Le dualisme est par contre une séparation irréductible des contraires.
L’incompatibilité de la pensée occidentale monothéiste avec la pensée orientale moniste réside dans sa croyance à des vérités absolues régies par la logique de non-contradiction et du tiers exclu à laquelle se rallie la logique binaire des sciences mathématiques.
Basarab Nicolescu qui par son expérience de la mécanique quantique a compris que l’univers est organisé en différents niveaux, justifie la compatibilité des contraires de la logique de Stéphane Lupasco par leur appartenance à un troisième commun, le tiers inclus situé à un niveau d’organisation supérieur .
La dualité est conjonctive par son rapport au niveau supérieur. Le dualisme disjonctif du tiers exclu est limité au même niveau, celui des phénomènes.
LE TROIS est l’Harmonie de la diversité qualitative.
J’ai déjà montré comment René Guénon a représenté dans LaGrande Triade la dualité purusha – prakriti (2-3) comme une base horizontale formant avec l’axe vertical entre l’Un et le Quatre une croix et deux triangles opposés en losange.
Le premier triangle dont le sommet désigne l’Un correspondrait aux trois Gunas du Yoga définis par des qualités spirituelles telles que conservation, évolution et illumination. Le second dont le sommet désigne le Quatre correspondrait aux trois Gunas du Samkhya et de la médecine ayurvédique définis par les propriétés des êtres animés: la stabilité, l’activité et la variabilité, dont le sens est analogue aux causes matérielle, efficiente et formelle d’Aristote.
LE QUATRE est la multiplicité quantitative
Le Quatre représente les éléments selon la tradition des philosophes grecs présocratiques et d’Hippocrate dont le sens est celui d’états matériels. Mais pour la pensée indienne les éléments sont des qualités sensorielles se rapportant aux cinq sens et pour la médecine chinoise ce sont des étapes des mutations cycliques des étoiles et des cinq planètes.
Réplique biologique de l'ordre cosmique
L'ordre cosmique traditionnel est un ordre de déploiement de l'unité qui trouve une confirmation scientifique dans le développement embryologique.
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La croyance mythique aux vérités absolues du monothéisme et sa logique dualiste que la science a reprise aveuglément et appliquée aux méthodes analytiques et mathématiques ont conduit la civilisation occidentale à la dissolution entropique de la vie intellectuelle, sociale et morale. La recherche libre, indépendante du consensus de la "communauté scientifique" permet aujourd'hui à la science de s'élever de la "terre plate" de la logique empirique aux niveaux supérieurs de l'intelligence de la nature. Le monde a besoin de renouveler la révolution de type copernicien en philosophie qui avait été tentée par les néoplatoniciens de la Renaissance mais qui fut étouffée à la fois par l’Église et par la Science.
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