L’unité cosmique ne résulte pas de la logique formelle. L’unité de la nature est équilibre, harmonie, beauté. L’unité est représentée dans la plupart des cultures traditionnelles et religieuses par des symboles de structure ternaire dont les trois principes peuvent être de forme naturelle, abstraite, ou mystique. Dans les médecines traditionnelles asiatiques, la triade cosmique représente trois principes premiers de l’art médical holiste qui offre un exemple vivant de pratique systémique.

***

Les trois principes premiers et les éléments des médecines traditionnelles orientales concernent l'intelligence intuitive. Pour les comprendre, il faut abandonner les critères de rationalité conventionnelle qui restent au niveau de la "terre plate" de l'empirisme scientifique et réapprendre à penser par analogie de proportionnalité, une logique commune aux traditions fondée sur les similitudes structurelles (homologies de L. von Bertalanffy) qui sont dues à des causes et conditions d'organisation identiques à tous les niveaux de la hiérarchie systémique (fractales de B. Mandelbrot).  
C'est pourquoi les principes et éléments traditionnels ne sont pas des concepts réductibles à une définition, mais des symboles auxquels appartiennent par analogie une  multitude de perceptions, de sentiments et de pensées. Ils représentent indifféremment l'ordre cosmique et l'organisation de l'intelligence.
Dans mon livre "Les trois visages de la vie" J'ai relaté les sources et étapes de ma recherche des principes et de la logique des médecines traditionnelles qui ont conduit à leur interprétation en termes contemporains et systémiques. J'essaie ici de les résumer succinctement et par des tableaux.


Il  existe une Grande Triade de principes d'organisation à la fois existentielle (ontologique) et cognitive (épistémologique) de l'univers. Elle est en général représentée par le Ciel, la Terre et la Vie émergeant comme troisième entre les deux. Les peuples de la nature les symbolisent par un  arbre ou par les êtres animés vivant sous terre, dans l'air ou entre les deux à la surface de la terre comme dans les figures  suivantes d'origine viking et amérindienne du nord et du sud .

                   

Les philosophies des grandes civilisations orientales expriment les trois principes en termes abstraits. En Chine ce sont les principes Yin,Yang et Q;  en Inde ce sont les trois Gunas tamas, rajas et sattva. Ceux-ci deviennent en médecine ayurvédique les trois Doshas Kapha,Pitta et Vata, des "humeurs"  vitales que le Tibet traduit par phlegme, bile et vent  
Platon a  attribué l'unité  du monde à la solidité de la terre, au devenir du feu et comme troisième à leur proportion. Son disciple Aristote les  a définis par ses causes matérielle, efficiente et formelle. (à lire ICI). Ces conditions d'existence restent la meilleure traduction des trois principes premiers.
La science a découvert les trois principes sous les termes matière, énergie et information sans en avoir reconnu l'unité et le sens métaphysique.

Les traditions médicales de Chine se fondent chacune sur une théorie des 5 éléments. Malgré une similitude apparente leur comparaison se heurte à plusieurs difficultés concernant leur nombre, leurs dénominations et leur sens qui n'est pas matériel comme celui des 4 éléments d'Europe.

En Chine, le taoïsme considère le monde comme un devenir cyclique. Ses 5 éléments Eau, Terre, Bois,Feu et Air et(peut-être liés aux 5 planètes connues plutôt qu'aux 5 sens) sont associés au système polarisé des "méridiens " d'acupuncture. Il y a symétriquement de chaque côté du corps six méridiens principaux Yin dirigés de bas en haut, associés à six méridiens yang dirigés de haut en bas. Chaque méridien étant associé à un organe et à un élément, la symétrie du système exige un sixième élément obtenu par le dédoublement du Feu en feu impérial et feu ministériel aussi appelé maître du cœur (M.C.).

En Inde, le monde est considéré comme une manifestation du pouvoir de Mâyâ qui crée les qualités sensorielles illusoire. Les 5 éléments de la  médecine ayurvédique désignent des qualités reconnaissable par les 5 sens. Selon cette tradition médicale  le corps et toutes ses parties y compris les Doshas ainsi que toute substance thérapeutique sont composés de 5 éléments indissociables (mahabhutas) la terre, l'eau, le feu, l'air et l'éther. Leurs propriétés résultent de la dominance de certains éléments, c’est-à-dire de leurs proportions. Chaque Dosha est dominé par deux éléments, ce qui exige un sixième élément virtuel obtenu par le  dédoublement des propriétés de l'eau en lourdeur froide et en pouvoir adhérent, unifiant appelé picchila.

Le tableau ci-dessous présente les homologies entre éléments chinois et indiens. La description des éléments chinois est obtenues des "images fonctionnelles" de J. Gleditsch dans "Reflexzonen und Somatotopien". Les éléments indiens sont expliqués dans "Fundamentals of ayurvedic medicine" de Vaidya Bhagwan Dash.
En haut sont alignés les éléments-organes des méridiens et leurs propriétés fonctionnelles selon Gleditsch. En dessous se trouvent les Gunas, les Dosha etles éléments indiens correspondants décrits selon la médecine  ayuvédique;
.

Mon interprétation systémique est fondée sur la logique du principe d'antagonisme de Stéphane Lupasco et sur le tiers inclus de Basarab Nicolescu dont résulte la triple organisation hiérarchique: tout système est organisé par un système de niveau supérieur, entretient des relations avec des systèmes de même niveau et organise des systèmes composants de niveau inférieur.

Les méthodes scientifiques sont fondées essentiellement sur des mesures de la matière, de l'espace et du temps (les 4 autres des 7 unités dites fondamentales sont empiriques). Or ces notions que Kant considérait comme des principes a priori sont de nature contradictoire.
La matière de la physique de Newton et Einstein est définie par la  dualité inertie-force ou masse-énergie.  L'inertie de la Substance est opposée au Dynamisme de l'énergie.
L'espace peut être considéré comme unité ou par ses parties et la géométrie des formes appelée topologie distingue la Continuité des lignes ou surfaces et leur fraction ou brisure qui en sont des Discontinuités.
Le temps se décompose en passé et futur, le présent en étant la transition sans dimension. Le passé est fini, le futur est indéfini. Le temps comme durée est mesuré par la période  d'un mouvement périodique (celui du soleil), l'inverse est la fréquence, une mesure de variations; Le passé est fini et sa durée est déterminée, le futur est indéfini et ses évolutions sont imprévisibles, indéterminées.

L'intégration des éléments dans les trois principes traditionnels est couplée à la différenciation des trois mesures de matière, espace et temps en thèmes épistémologiques antagonistes analogues aux éléments. Le modèle traditionnel de la théorie des éléments est un modèle systémique réunissant les synergie,qualitatives de la Tradition aux antagonismes quantitatifs de la Science.

L'unité circulaire indissociable représentée en médecine traditionnelle orientale par les éléments; elle
peut être exprimée en termes modernes par des thèmes épistémologiques

   

Dans "L'énergie et la matière vivante" Stéphane Lupasco a démontré par d'innombrables exemples que les fonctions physiques, chimiques ou biologiques se présentent toujours comme couples de principes antagonistes. Les principes premiers de toute organisation naturelle peut être représentée par les antagonismes du modèle d'intégration fonctionnelle.
Tout l'organisme humain résulte de trois feuillets embryonnaires dont résultent trois fonctions physiologiques essentielle d'adaptation matérielle, spatiale et temporelle que j'appelle homéostasie, hétérostasie et téléostasie.

Organisation psychique

En médecine tibétaine bouddhiste les trois principes ayurvédiques appelés phlegme, bile et vent ont une interprétation psychologique comme "trois poisons":  la confusion, la haine et l'avidité.  La tradition chinoise attribue un sentiment à chaque élément. J'ai complété ces sentiments par des synonymes dans les rectangles antagonistes.

La théorie systémique du vingtième siècle fondée sur la cybernétique est restée au niveau empirique des interactions. La théorie des éléments des médecines traditionnelles par contre est fondée sur une triade première satisfaisant au critère néoplatonicien d'autosuffisance de Guillaume d'Ockham. Pourtant le modèle d'intégration des trois principes premiers par trois antagonismes reste dans la dualité. La compréhension de l'unité harmonique de l'univers dans le sens du noûs platonicien exige un autre modèle.