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Le Védanta, la métaphysique et la Tradition dans l'oeuvre de René Guénon - Lecture commentée

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Message  SFuchs Dim 16 Oct 2022 - 11:51

I/ Présentation - Introduction

René Guénon, dont l'œuvre est inclassable, peut néanmoins être considéré comme un métaphysicien de premier plan du début du XXème siècle. Né à Blois en 1886, y ayant passé sa prime jeunesse, il s'est ensuite rendu à Paris pour ses études supérieures. Là, il a fréquenté assidument les milieux occultistes, les loges maçonniques puis connut un virage à l'occasion de son initiation au Veda par un guide Hindou (ou plusieurs) dont l’identité n’a jamais été révélée.

Par son éclectisme, sa capacité d'analyse et de synthèse, René Guénon a produit une œuvre dont le souci principal est de présenter la Tradition dans un Occident qui, au fil des siècles, s'est éloigné de celle-ci au point qu'elle lui soit devenue étrangère. René Guénon estime que le Veda est la doctrine traditionnelle la plus fidèle à ce qu'il nomme la Tradition primordiale, matrice de la plupart des courants spirituels et des grandes religions.

Dans cette présentation, nous nous appuierons essentiellement sur trois ouvrages majeurs de René Guénon :

- L'Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues (1921) : son premier ouvrage publié, qui pose les bases de ses travaux à venir et permet de situer le Védisme par rapport à la philosophie d’Occident et à la religion.

- L'Homme et son devenir selon le Vedanta (1925), qui expose la constitution de l’homme ainsi que sa destinée d’après le Veda ; et qui de façon concomitante établit une cartographie des différents degrés de réalité du monde physique et du monde métaphysique.

- Enfin, Les Etats multiples de l'Etre (1932), dont l'approche théorique est plus difficile sans quelques prérequis mais qui approfondit les notions de l'ouvrage précédemment cité.

Le Védanta, la métaphysique et la Tradition dans l'oeuvre de René Guénon - Lecture commentée Guenon_01
René Guénon (1886 – 1951)
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Message  SFuchs Dim 16 Oct 2022 - 12:02


II/ Qu'est-ce que la Tradition ? Qu'est-ce que la métaphysique ? Qu'est-ce que la Science sacrée ?

La tradition, au sens large est « ce qui se transmet ». Ce qui se transmet dans la Tradition, c'est en premier lieu la connaissance des principes universels et la hiérarchisation des niveaux de réalité qui en découle. Ces principes universels se situent dans le domaine métaphysique, au-delà de l'existence et de nos capacités de perceptions sensibles, c’est-à-dire au-delà de la physique. Leur étude relève de la Science sacrée, qui se distingue des sciences de la nature en ce qu'elle approche la nature sous l'angle de sa dépendance aux principes qui la sous-tendent.

Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues - page 49

Nous dirons maintenant que la métaphysique, ainsi comprise, est essentiellement la connaissance de l’universel, ou, si l’on veut, des principes d’ordre universel, auxquels seuls convient d’ailleurs proprement ce nom de principes ; mais nous ne voulons pas donner vraiment par là une définition de la métaphysique, ce qui est rigoureusement impossible, en raison de cette universalité même que nous regardons comme le premier de ses caractères, celui dont dérivent tous les autres. En réalité, ne peut être défini que ce qui est limité, et la métaphysique est au contraire, dans son essence même, absolument illimitée, ce qui, évidemment, ne nous permet pas d’en enfermer la notion dans une formule plus ou moins étroite ; une définition serait ici d’autant plus inexacte qu’on s’efforcerait de la rendre plus précise.

Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues - page 51

D’ailleurs, toute exposition possible est ici nécessairement défectueuse, parce que les conceptions métaphysiques, par leur nature universelle, ne sont jamais totalement exprimables, ni même imaginables, ne pouvant être atteintes dans leur essence que par l’intelligence pure et « informelle » ; elles dépassent immensément toutes les formes possibles, et spécialement les formules ou le langage voudrait les enfermer, formules toujours inadéquates qui tendent à les restreindre, et par là à les dénaturer. Ces formules, comme tous les symboles, ne peuvent, que servir de point de départ, de « support » pour ainsi dire, pour aider à concevoir ce qui demeure inexprimable en soi, et c’est à chacun de s’efforcer de le concevoir effectivement selon la mesure de sa propre capacité intellectuelle, suppléant ainsi, dans cette même mesure précisément, aux imperfections fatales de l’expression formelle et limitée.

Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues - page 51

Comme nous le disions plus haut justement à propos des difficultés de traduction et d’adaptation, la métaphysique, parce qu’elle s’ouvre sur des possibilités illimitées, doit toujours réserver la part de l’inexprimable, qui, au fond, est même pour elle tout l’essentiel.

La source première de la Tradition est la connaissance directe. En tant qu'universels, les principes auxquels se réfèrent cette connaissance sont permanents, dans un éternel présent, c'est pourquoi ils sont accessibles à l'homme en tout temps et à toutes les époques, pour peu qu'il soit prédisposé et préparé à les recevoir.  La transmission orale de la Tradition sur une durée difficile à déterminer a par la suite été consignée en agrégat d’écrits. Il n'y a pas « un » écrivain derrière un Veda ou la partie d'un Veda mais une lignée d'initiés s'étant reconnus comme tels du fait de leurs intuitions communes, attestées par les intuitions de leurs prédécesseurs. Ainsi, la Tradition s'entretient de l'intuition directe et de sa consignation dans des écrits permettant de donner un gage d'authenticité aux intuitions des apprentis-initiés présents et à venir.

Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues - page 88

La transmission orale antécédente est souvent indiquée dans un texte, mais sans aucune donnée chronologique, par ce qu’on appelle le vansha ou filiation traditionnelle ; c’est ce qui a lieu notamment pour la plupart des Upanishads. Seulement, à l’origine, il faut toujours recourir à une inspiration directe, d’ailleurs indiquée également dans le vansha, car il ne s’agit point là d’une œuvre individuelle ; peu importe que la tradition ait été exprimée ou formulée par tel ou tel individu, celui-ci n’en est point l’auteur pour cela, dès lors que cette tradition est essentiellement d’ordre supra-individuel. C’est pourquoi l’origine du Vêda est dite apaurushêya, c’est-à-dire « non-humaine » : les circonstances historiques, non plus que d’autres contingences, n’exercent aucune influence sur le fond de la doctrine, qui a un caractère immuable et purement intemporel, et il est d’ailleurs évident que l’inspiration dont nous venons de parler peut se produire à n’importe quelle époque.

D'une façon secondaire et comme déclinaison de la Sciences sacrée, la Tradition induit une certaine organisation des sociétés, que l'on appelle dès lors sociétés traditionnelles.

Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues - page 36

"Etymologiquement, la tradition est simplement « ce qui se transmet » d’une manière ou d’une autre. En outre, il faut encore comprendre dans la tradition, à titre d’éléments secondaires et dérivés, mais néanmoins importants pour en avoir une notion complète, tout l’ensemble des institutions de différents ordres qui ont leur principe dans la doctrine traditionnelle elle-même.

Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues - page 38

En ce qui concerne l’Orient, l’identification de la tradition et de la civilisation tout entière est au fond justifié : toute civilisation orientale, prise dans son ensemble nous apparaît comme essentiellement traditionnelle, et ceci résulte immédiatement des explications que nous avons données dans le chapitre précédent. Quant à la civilisation occidentale, nous avons dit qu’elle est au contraire dépourvue de tout caractère traditionnel, à l’exception de son élément religieux, qui est le seul à avoir conservé ce caractère.

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Message  SFuchs Dim 16 Oct 2022 - 12:07


III/ Le Veda et les différents points de vue sur la doctrine

En tant que doctrine globale, le Veda s'étudie selon plusieurs points de vue qui, loin d'être incompatibles entre eux ou de constituer des écoles concurrentes, sont complémentaires. Leurs portées s'arrêtent là où leurs développements iraient à l'encontre des grands principes du Veda. C'est cette limite qui distingue le point de vue orthodoxe (conforme à la doctrine) du point de vue hétérodoxe (non conforme à la doctrine).

Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues - page 90

l’hétérodoxie d’une conception n’est pas autre chose, au fond, que sa fausseté, résultant de son désaccord avec les principes fondamentaux ; et cette fausseté est même, le plus souvent, une absurdité manifeste, pour peu qu’on veuille ramener la question à la simplicité de ses données essentielles: il ne saurait en être autrement, dès lors que la métaphysique, comme nous l’avons dit, exclut tout ce qui présente un caractère hypothétique, pour n’admettre que ce dont la compréhension implique immédiatement la véritable certitude. Dans ces conditions, l’orthodoxie ne fait qu’un avec la connaissance véritable, puisqu’elle réside dans un accord constant avec les principes ; et, comme ces principes, pour la tradition hindoue, sont essentiellement contenus dans le Vêda, c’est évidemment l’accord avec le Vêda qui est ici le critérium de l’orthodoxie. Seulement, ce qu’il faut bien comprendre, c’est qu’il s’agit là bien moins de recourir à l’autorité des textes écrits que d’observer la parfaite cohérence de l’enseignement traditionnel dans son ensemble ; l’accord ou le désaccord avec les textes vêdiques n’est en somme qu’un signe extérieur de la vérité ou de la fausseté intrinsèque d’une conception, et c’est celle-ci qui constitue réellement son orthodoxie ou son hétérodoxie.

On distingue classiquement 6 grands points de vue sur la doctrine, dont nous ne ferons qu’évoquer l’existence pour certains et dont nous développerons le contenu pour d'autres, pour les avoir un peu plus étudiés.

Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues - page 112

C’est là, très exactement, ce qui a lieu dans l’Inde, et c’est ce qu’exprime le mot sanskrit darshana, qui ne signifie proprement rien d’autre que « vue » ou « point de vue », car la racine verbale drish, dont il est dérivé, a comme sens principal celui de « voir ». Les darshanas sont donc bien les points de vue de la doctrine, et ce ne sont point, comme se l’imaginent la plupart des orientalistes, des « systèmes philosophiques » se faisant concurrence et s’opposant les uns aux autres ; dans toute la mesure où ces « vues » sont strictement orthodoxes, elles ne sauraient naturellement entrer en conflit ou en contradiction"



Dernière édition par SFuchs le Dim 16 Oct 2022 - 20:27, édité 3 fois
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Message  SFuchs Dim 16 Oct 2022 - 12:11

3.1 Le Nyâya (la logique)

Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues - page 117

Nous avons dit que le Nyâya est essentiellement la logique ; mais nous devons ajouter que ce terme a ici une acception moins restreinte que chez les Occidentaux, et cela parce que ce qu’il désigne, au lieu d’être conçu comme une partie de la philosophie, l’est comme un point de vue de la doctrine totale. Échappant à l’étroite spécialisation qui est inévitable pour la logique envisagée en mode philosophique, et n’ayant d’ailleurs à s’intégrer à aucun système, la logique hindoue a par là une portée beaucoup plus grande ; et, pour le comprendre, qu’on se rappelle ici ce que nous disions à propos des caractères de la métaphysique : ce qui constitue l’objet propre d’une spéculation, ce ne sont pas précisément les choses mêmes qu’elle étudie, mais c’est le point de vue sous lequel elle étudie les choses. La logique, avons-nous dit encore précédemment, concerne les conditions de l’entendement humain ; ce qui peut être envisagé logiquement, c’est donc tout ce qui est objet de l’entendement humain, en tant qu’on le considère effectivement sous ce rapport. Par suite, la logique comprend dans son point de vue les choses considérées comme « objets de preuve », c’est-à-dire de connaissance raisonnée ou discursive : c’est là, dans le Nyâya, le sens du terme padârtha, et, malgré certaines différences, c’est aussi, dans l’ancienne logique occidentale, la véritable signification des « catégories » ou « prédicaments ».

3.2 Le Vaishêshika (l'étude de la nature sous son aspect distinctif)

Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues - page 121

Nous avons vu que ce rattachement aux principes, assurant l’unité essentielle de la doctrine dans toutes ses branches, est un caractère commun à tout l’ensemble des connaissances traditionnelles de l’Inde ; il marque la différence profonde qui existe entre le Vaishêshika et le point de vue scientifique tel que l’entendent les Occidentaux, point de vue dont le Vaishêshika est pourtant, dans cet ensemble, ce qu’il y a de moins éloigné.

Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues - page 121

Le nom du Vaishêshika est dérivé du mot vishêsha, qui signifie « caractère distinctif », et, par suite, « chose individuelle » ; ce darshana est donc constitué par la connaissance des choses individuelles comme telles, envisagées en mode distinctif, dans leur existence contingente. Tandis que le Nyâya considère ces choses dans leur rapport avec l’entendement humain, le Vaishêshika les considère plus directement dans ce qu’elles sont en elles-mêmes; on voit immédiatement la différence de ces deux points de vue, mais aussi leur relation, puisque ce que les choses sont dans la connaissance est, au fond, identique à ce qu’elles sont en elles-mêmes; mais, d’ailleurs, la différence des deux points de vue ne disparaît que quand ils sont dépassés l’un et l’autre, de sorte que leur distinction a toujours lieu d’être maintenue dans les limites du domaine auquel ils s’appliquent proprement. Ce domaine est évidemment celui de la nature manifestée, hors duquel le point de vue individuel lui-même, dont ces deux darshanas représentent des modalités, n’a plus aucun sens possible ; mais la manifestation universelle peut être envisagée de deux façons différentes: soit synthétiquement, à partir des principes dont elle procède et qui la déterminent dans tous ses modes, et c’est ce que fait le Sânkhya, ainsi que nous le verrons plus loin ; soit analytiquement, dans la distinction de ses éléments constitutifs multiples, et c’est ce que fait le Vaishêshika. Ce dernier point de vue peut même se borner à la considération spéciale d’un des modes de la manifestation universelle, tel que celui qui constitue l’ensemble du monde sensible ; et, en fait, il est obligé de s’y borner presque exclusivement, car les conditions des autres modes échappent nécessairement aux facultés individuelles de l’être humain : on ne peut y atteindre que par en haut, en quelque sorte, c’est-à-dire par ce qui, dans l’homme, dépasse les limitations et les relativités inhérentes à l’individu.


3.3 La Mimansa (l'exégèse)

Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues - page 132

Le mot mîmânsâ signifie littéralement « réflexion profonde » ; il s’applique, d’une façon générale, à l’étude réfléchie du Vêda, ayant pour but de déterminer le sens exact de la shruti et d’en dégager les conséquences qui sont impliqués, soit dans l’ordre pratique, soit dans l’ordre intellectuel.
[...]
L’exposition de ce darshana est attribuée à Jaimini et la méthode qui y est suivie est celle-ci : les opinions erronées sur une question sont d’abord développées, puis réfutées, et la solution vraie de la question est finalement donnée comme conclusion et toute cette discussion cette méthode d’exposition présente une analogie remarquable avec celle de la doctrine scolastique au moyen âge occidental. Quant à la nature des sujets traités, elle est définie, au début même des sûtras de Jaimini, comme une étude qui doit établir les preuves et les raisons d’être du dharma, dans sa connexion avec kârya ou « ce qui doit être accompli ».

Introduction générale à l'étude de doctrine hindoues - page 133

La Mîmânsâ développe la théorie de la perpétuité du son à laquelle nous avons fait allusion précédemment, et, plus précisément, celle de l’association originelle et perpétuelle du son articulé avec le sens de l’ouïe, qui fait du langage tout autre chose qu’une convention plus ou moins arbitraire. On y trouve également une théorie de l’infaillibilité de la doctrine traditionnelle, infaillibilité qui doit être conçue comme inhérente à la doctrine elle-même, et qui par suite, n’appartient aucunement aux individus humains ; ceux-ci n’y participent que dans la mesure où ils connaissent effectivement la doctrine et où ils l’interprètent exactement, et, alors même, cette infaillibilité ne doit point être rapportée aux individus comme tels, mais toujours à la doctrine qui s’exprime par eux.

(A suivre...)


Dernière édition par SFuchs le Dim 23 Oct 2022 - 16:51, édité 2 fois
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Message  SFuchs Dim 16 Oct 2022 - 16:58


3.4 Le Samkhya ou Sânkhya (la constitution macrocosmique et microcosmique)

L’étymologie du terme Samkhya permet de comprendre la portée et l’intention de ce darshana

Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues - page 126

Quant à la dénomination du Sânkhya, elle a été diversement interprétée ; elle dérive de sankhyâ qui signifie « énumération » ou « calcul », et aussi parfois « raisonnement » ; elle désigne proprement une doctrine qui procède par l’énumération régulière des différents degrés de l’être manifesté, et c’est bien là, en effet, ce qui caractérise le Sânkhya, qui peut se résumer tout entier dans la distinction et la considération de vingt-cinq tattwas ou principes et éléments vrais, correspondant à ces degrés hiérarchisés.

3.4.1 Le couple Purusha/Prakriti

Purusha et Prakriti sont les deux pôles de la manifestation, bien que ces deux pôles ne soient pas manifestés

L'homme et son devenir selon le Vedanta - page 26

Nous dirons donc que Purusha, pour que la manifestation se produise, doit entrer en corrélation avec un autre principe, bien qu’une telle corrélation soit inexistante quant à son aspect le plus élevé (uttama), et qu’il n’y ait véritablement point d’autre principe, sinon dans un sens relatif, que le Principe Suprême ; mais, dès qu’il s’agit de la manifestation, même principiellement, nous sommes déjà dans le domaine de la relativité. Le corrélatif de Purusha est alors Prakriti, la substance primordiale indifférenciée ; c’est le principe passif, qui est représenté comme féminin, tandis que Purusha, appelé aussi Pumas, est le principe actif, représenté comme masculin ; et, demeurant d’ailleurs eux-mêmes non-manifestés, ce sont là les deux pôles de toute manifestation. C’est l’union de ces deux principes complémentaires qui produit le développement intégral de l’état individuel humain, et cela par rapport à chaque individu ; et il en est de même pour tous les états manifestés de l’être autres que cet état humain, car, si nous avons à considérer celui-ci plus spécialement, il importe de ne jamais oublier qu’il n’est qu’un état parmi les autres, et que ce n’est pas à la limite de la seule individualité humaine, mais bien à la limite de la totalité des états manifestés, en multiplicité indéfinie, que Purusha et Prakriti nous apparaissent comme résultant en quelque sorte d’une polarisation de l’être principiel.

L'homme et son devenir selon le Vedanta - page 28

Encore faut-il ajouter que la distinction de ces dernières, si primordiale qu’elle soit par rapport à toute autre, n’en est pas moins relative : c’est la première de toutes les dualités, celle dont toutes les autres dérivent directement ou indirectement, et c’est là que commence proprement la multiplicité ; mais il ne faut pas voir dans cette dualité l’expression d’une irréductibilité absolue qui ne saurait nullement s’y trouver : c’est l’Être Universel qui, par rapport à la manifestation dont Il est le principe, se polarise en « essence » et en « substance », sans d’ailleurs que son unité intime en soit aucunement affectée.

L'homme et son devenir selon le Vedanta - page 34

Nous rappellerons encore qu’Âtmâ et Purusha sont un seul et même principe, et que c’est de Prakriti, et non de Purusha, qu’est produite toute manifestation ; mais, si le Sânkhya envisage surtout cette manifestation comme le développement ou l’« actuation » des potentialités de Prakriti, parce que son point de vue est avant tout « cosmologique » et non proprement métaphysique, le Vêdânta doit y voir autre chose, parce qu’il considère Âtmâ, qui est hors de la modification et du « devenir », comme le vrai principe auquel tout doit finalement être rapporté. Nous pourrions dire qu’il y a, à cet égard, le point de vue de la « substance » et celui de l’« essence », et que c’est le premier qui est le point de vue « cosmologique », parce qu’il est celui de la Nature et du « devenir » ; mais, d’un autre côté, la métaphysique ne se borne pas à l’« essence » conçue comme corrélative de la « substance », ni même à l’Être en lequel ces deux termes sont unifiés ; elle va beaucoup plus loin, puisqu’elle s’étend aussi à Paramâtmâ ou Purushottama, qui est le Suprême Brahma, et qu’ainsi son point de vue (si tant est que cette expression puisse encore s’appliquer ici) est véritablement illimité.

Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues - page 127

Jusqu’ici, le Sânkhya ne considère les choses que sous le rapport de la substance, entendue au sens universel mais, ainsi que nous l’indiquions précédemment, il y a lieu d’envisager corrélativement, comme l’autre pôle de la manifestation un principe complémentaire de celui-là, et que l’on peut appeler l’essence. C’est le principe auquel le Sânkhya donne le nom de Purusha ou de Pumas, et qu’il regarde comme un vingt-cinquième tattwa, entièrement indépendant des précédents ; toutes les choses manifestées sont produites par Prakriti, mais, sans la présence de Purusha, ces productions n’auraient qu’une existence purement illusoire. Contrairement à ce que pensent certains, la considération de ces deux principes ne présente pas le moindre caractère dualiste : ils ne dérivent pas l’un de l’autre et ne sont pas réductibles l’un à l’autre, mais ils procèdent tous deux de l’Être universel, dans lequel ils constituent la première de toutes les distinctions.

3.4.2 Purusha

L'homme et son devenir selon le Vedanta - page 25

Purusha est représenté comme une lumière (jyotis), parce que la lumière symbolise la Connaissance ; et il est la source de toute autre lumière, qui n’est en somme que sa réflexion, toute connaissance relative ne pouvant exister que par participation, si indirecte et si lointaine soit elle, à l’essence de la Connaissance suprême.

L'homme et son devenir selon le Vedanta - page 32

Purusha est cependant le principe essentiel de toutes choses, puisque c’est lui qui détermine le développement des possibilités de Prakriti ; mais lui-même n’entre jamais dans la manifestation, de sorte que toutes choses, en tant qu’elles sont envisagées en mode distinctif, sont différentes de lui, et que rien de ce qui les concerne comme tel les (constituant ce qu’on peut appeler le « devenir ») ne saurait affecter son immutabilité.

3.4.3 Prakriti

L'homme et son devenir selon le Vedanta - page 29

Nous ajouterons, pour compléter ces notions, que Prakriti, tout en étant nécessairement une dans son « indistinction », contient en elle-même une triplicité qui, en s’actualisant sous l’influence « ordonnatrice » de Purusha, donne naissance à ses multiples déterminations. En effet, elle possède trois gunas ou qualités constitutives, qui sont en parfait équilibre dans son indifférenciation primordiale ; toute manifestation ou modification de la substance représente une rupture de cet équilibre, et les êtres, dans leurs différents états de manifestation, participent des trois gunas à des degrés divers et, pour ainsi dire, suivant des proportions indéfiniment variées. Ces gunas ne sont donc pas des états, mais des conditions de l`Existence universelle, auxquelles sont soumis tous les êtres manifestés, et qu’il faut avoir soin de distinguer des conditions spéciales qui déterminent et définissent tel ou tel état ou mode de la manifestation.

3.4.4 Buddhi

L'homme et son devenir selon le Vedanta - page 39

D’autre part, Buddhi, comme tout ce qui provient du développement des potentialités de Prakriti, participe des trois gunas ; c’est pourquoi, envisagée sous le rapport de la connaissance distinctive ( vijnâna), elle est conçue comme ternaire, et, dans l’ordre de l’Existence universelle, elle est alors identifiée à la Trimûrti divine : « Mahat devient distinctement conçu comme trois Dieux (au sens de trois aspects de la Lumière intelligible, car c’est là proprement la signification du mot sanskrit Dêva, dont le mot « Dieu » est d’ailleurs, étymologiquement, l’équivalent exact) , par l’influence des trois gunas, étant une seule manifestation (mûrti) en trois Dieux. Dans l’universel, il est la Divinité (Îshwara, non en soi, mais sous ses trois aspects principaux de Brahmâ, Vishnu et Shiva, constituant la Trimûrti ou « triple manifestation ») ; mais, envisagé distributivement (sous l’aspect, d’ailleurs purement contingent, de la « séparativité »), il appartient (sans pourtant être individualisé lui-même) aux êtres individuels (auxquels il communique la possibilité de participation aux attributs divins, c’est-à-dire à la nature même de l’Être Universel, principe de toute existence). Buddhi peut être envisagée à la fois par rapport à la personnalité (Âtmâ) et par rapport à l’« âme vivante » (jîvâtmâ), cette dernière n’étant d’ailleurs que la réflexion de la personnalité dans l’état individuel humain, réflexion qui ne saurait exister sans l’intermédiaire de Buddhi : qu’on se rappelle ici le symbole du soleil et de son image réfléchie dans l’eau ; Buddhi est, nous l’avons dit, le rayon qui détermine la formation de cette image et qui, en même temps, la relie à la source lumineuse.

3.4.5 La conscience Ahankhara

Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues - page 126

Se plaçant au point de vue de la manifestation, le Sânkhya prend pour point de départ Prakriti ou Pradhâna, qui est la substance universelle, indifférenciée et non manifestée en soi, mais dont toutes choses procèdent par modification ; ce premier tattwa est la racine ou mulâ de la manifestation, et les tattwas suivants représentent ses modifications à divers degrés. Au premier degré est Buddhi, qui est aussi appelée Mahat ou le « grand principe », et qui est l’intellect pur, transcendant par rapport aux individus ; ici, nous sommes déjà dans la manifestation, mais nous sommes encore dans l’ordre universel. Au degré suivant, au contraire, nous trouvons la conscience individuelle, ahankâra, qui procède du principe intellectuel par une détermination « particulariste », si l’on peut ainsi s’exprimer, et qui produit à son tour les éléments suivants.

3.4.6 A propos des gunas

Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues - page 127

Il nous faut revenir encore un peu sur la conception de Prakriti : elle possède trois gunas ou qualités constitutives, qui sont en parfait équilibre dans son indifférenciation primordiale ; toute manifestation ou modification de la substance représente une rupture de cet équilibre, et les êtres, dans leurs différents états de manifestation, participent des trois gunas à des degrés divers et, pour ainsi dire, suivant des proportions indéfiniment variées. Ces gunas ne sont donc pas des états, mais des conditions de l’existence universelle, auxquelles sont soumis tous les êtres manifestés, et qu’il faut avoir soin de distinguer des conditions spéciales qui déterminent tel ou tel état ou mode de la manifestation, comme l’espace et le temps qui conditionnent l’état corporel à l’exclusion des autres. Les trois gunas sont : sattwa, la conformité à l’essence pure de l’Être ou Sat, qui est identifiée à la lumière intelligible ou à la connaissance, et représentée comme une tendance ascendante ; rajas, l’impulsion expansive, selon laquelle l’être se développe dans un certain état et, en quelque sorte, à un niveau déterminé de l’existence ; enfin, tamas, l’obscurité, assimilée à l’ignorance et représentée comme une tendance descendante.

3.4.7 Le sens interne Manas et les sens externes

L'homme et son devenir selon le Vedanta - page 41

Entre les tanmâtras et les bhûtas, et constituant avec ces derniers le groupe des « productions improductives », il y a onze facultés distinctes, proprement individuelles, qui procèdent d’ahankâra, et qui, en même temps, participent toutes des cinq tanmâtras. Des onze facultés dont il s’agit, dix sont externes : cinq de sensation et cinq d’action ; la onzième, dont la nature tient à la fois des unes et des autres, est le sens interne ou faculté mentale (manas), et cette dernière est unie directement à la conscience (ahankâra). C’est à manas que doit être rapportée la pensée individuelle, qui est d’ordre formel (et nous y comprenons la raison aussi bien que la mémoire et l’imagination), et qui n’est nullement inhérente à l’intellect transcendant (Buddhi), dont les attributions sont essentiellement informelles.

3.4.8 Les éléments

L'homme et son devenir selon le Vedanta - page 41

Les cinq bhûtas sont, dans l’ordre de leur production ou de leur manifestation (ordre correspondant à celui qui vient d’être indiqué pour les tanmâtras, puisqu’à chaque élément appartient en propre une qualité sensible), l’Éther (Âkâsha), l’Air (Vâyu), le Feu (Têjas), l’Eau (Ap) et la Terre (Prithwî ou Prithivî) ; et c’est d’eux qu’est formée toute la manifestation grossière ou corporelle.

(A suivre...)


Dernière édition par SFuchs le Dim 23 Oct 2022 - 16:52, édité 2 fois
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Le Védanta, la métaphysique et la Tradition dans l'oeuvre de René Guénon - Lecture commentée Empty Re: Le Védanta, la métaphysique et la Tradition dans l'oeuvre de René Guénon - Lecture commentée

Message  SFuchs Dim 16 Oct 2022 - 19:56


3.5 Un exemple de raisonnement basé sur les darshanas, permettant de classer la théorie atomiste dans l'hétérodoxie

Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues - page 124

C’est dans la théorie des éléments corporels qu’apparaît spécialement la conception atomiste : un atome ou anu est, potentiellement tout au moins, de la nature de l’un ou de l’autre des éléments, et c’est par la réunion d’atomes de ces différentes sortes, sous l’action d’une force « non-perceptible » ou adrishta, que sont formés tous les corps. Nous avons déjà dit que cette conception est expressément contraire au Vêda, qui affirme par contre l’existence des cinq éléments ; il n’y a donc aucune solidarité réelle entre celle-ci et celle-là. Il est d’ailleurs très facile de faire apparaître les contradictions qui sont inhérentes à l’atomisme, dont l’erreur fondamentale consiste à supposer des éléments simples dans l’ordre corporel, alors que tout ce qui est corps est nécessairement composé, étant toujours divisible par là même qu’il est étendu, c’est-à-dire soumis à la condition spatiale ; on ne peut trouver quelque chose de simple ou d’indivisible qu’en sortant de l’étendue, donc de cette modalité spéciale de manifestation qu’est l’existence corporelle. Si l’on prend le mot « atome » dans son sens propre, celui d’« indivisible », ce que ne font plus les physiciens modernes, mais ce qu’il faut faire ici, on peut dire qu’un atome, devant être sans parties, doit être aussi sans étendue ; or une somme d’éléments sans étendue ne formera jamais une étendue ; si les atomes sont ce qu’ils doivent être par définition, il est donc impossible qu’ils arrivent à former les corps.
A ce raisonnement bien connu, et d’ailleurs décisif, nous joindrons encore celui-ci, que Shankarâchârya emploie pour réfuter l’atomisme : deux choses peuvent entrer en contact par une partie d’elles-mêmes ou par leur totalité ; pour les atomes, qui n’ont pas de parties, la première hypothèse est impossible ; il ne reste donc que la seconde, ce qui revient à dire que le contact ou l’agrégation de deux atomes ne peut être réalisé que par leur coïncidence pure et simple, d’où il résulte manifestement que deux atomes réunis ne sont pas plus, quant à l’étendue, qu’un seul atome, et ainsi de suite indéfiniment ; donc, comme précédemment, des atomes en nombre quelconque ne formeront jamais un corps.

3.6 Le Yoga

Le Yoga, qui va au-delà de son aspect gymnastique connu sous nos latitudes, rassemble plus généralement un ensemble de pratiques préparatoires à l'Union métaphysique

Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues - page 129

Au point de vue théorique, le Yoga complète le Sânkhya en introduisant la conception d’Îshwara, qui, étant identique à l’Être universel, permet l’unification, d’abord de Purusha, principe multiple quand on l’envisageait seulement dans les existences particulières, et ensuite de Purusha et de Prakriti, l’Être universel étant au-delà de leur distinction, puisqu’il est leur principe commun. D’autre part, le Yoga admet le développement de la nature ou de la manifestation tel que le décrit le Sânkhya ; mais, la prenant pour base d’une réalisation qui doit conduire au-delà de cette nature contingente, il l’envisage en quelque sorte dans un ordre inverse de celui de ce développement, et comme en voie de retour vers sa fin dernière, qui est identique à son principe initial. Par rapport à la manifestation, le principe premier est Îshwara ou l’Être universel ; ce n’est pas à dire que ce principe soit absolument premier dans l’ordre universel puisque nous avons marqué la distinction fondamentale qu’il faut faire entre Îshwara qui est l’Être et Brahma, qui est au-delà de l’Être ; mais, pour les êtres manifestés, l’union avec l’Être universel peut être regardée comme constituant un stade nécessaire en vue de l’union avec le suprême Brahma. Du reste, la possibilité d’aller au-delà de l’Être, soit théoriquement, soit quant à la réalisation, suppose la métaphysique totale, que le Yoga-shâstra de Patanjali n’a point la prétention de représenter à lui seul.
[...]
Aussi le Yoga prend-il pour point de départ et moyen fondamental ce qui est appelé êkâgrya, c’est-à-dire la « concentration ». Cette concentration même est, comme Max Muller l’avoue, quelque chose de tout à fait étranger à l’esprit occidental habitué à porter toute son attention sur les choses extérieures et à se disperser dans leur multiplicité indéfiniment changeante ; elle lui est même devenue à peu près impossible, et pourtant elle est la première et la plus importante de toutes les conditions d’une réalisation effective. La concentration peut prendre pour support surtout au début, une pensée quelconque, un symbole tel qu’un mot ou une image ; mais ensuite ces moyens auxiliaires deviennent inutiles, aussi bien que les rites et autres « adjuvants » qui peuvent être employés concurremment en vue du même but. Il est évident, d’ailleurs que ce but ne saurait être atteint par les seuls moyens accessoires, extrinsèques à la connaissance, que nous venons de mentionner en dernier lieu ; mais il n’en est pas moins vrai que ces moyens, sans avoir rien d’essentiel, ne sont nullement négligeables, car ils peuvent avoir une très grande efficacité pour faciliter la réalisation et conduire, sinon à son terme, du moins à ses stades préparatoires. Telle est la véritable raison d’être de tout ce qui est désigné par le terme d’hatha-yoga, et qui est destiné, d’une part à détruire ou plutôt à « transformer » ce qui, dans l’être humain, fait obstacle à son union avec l’Universel, et, d’autre part, à préparer cette union par l’assimilation de certains rythmes, principalement liés au règlement de la respiration ;
[...]
Le Yogî, au sens propre du mot, est celui qui a réalisé l’union parfaite et définitive ; on ne peut donc sans abus appliquer cette dénomination a celui qui se livre simplement à l’étude du Yoga en tant que darshana, ni même à celui qui suit effectivement la voie de réalisation qui y est indiquée, sans être encore parvenu au but suprême vers lequel elle tend. L’état du Yogî véritable est celui de l’être qui a atteint et possède en plein développement les possibilités les plus hautes ; tous les états secondaires auxquels nous avons fait allusion lui appartiennent aussi en même temps et par là même, mais par surcroît, pourrait-on dire, et sans plus d’importance qu’ils n’en ont, chacun à son rang, dans la hiérarchie de l’existence totale dont ils sont autant d’éléments constitutifs. On peut en dire tout autant de la possession de certains pouvoirs spéciaux et plus ou moins extraordinaires, tels que ceux qui sont appelés siddhis ou vibhûtis: bien loin de devoir être recherchés pour eux-mêmes, ces pouvoirs ne constituent que de simples accidents, relevant du domaine de la « grande illusion » comme tout ce qui est d’ordre phénoménal, et le Yogî ne les exerce que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles; considérés autrement, ils ne sauraient être que des obstacles à la réalisation complète.

3.7 Le Vedanta : présentation

Sur le contenu, le Vedanta rassemble la formulation tardive du Veda, c'est à dire les Upanishad ainsi que quelques autres Traités (les Sûtras) tels que le Brahma-Sûtra ou le Yoga-Sûtra de Patanjali. Par extension, on y inclut la Bhagavad-Gîta. De tous les points de vue sur le Veda, le Vedanta est celui qui est métaphysique par excellence.

Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues - page 137

Avec le Vêdânta, nous sommes, comme nous l’avons dit, dans le domaine de la métaphysique pure ; il est donc superflu de répéter que ce n’est ni une philosophie ni une religion, bien que les orientalistes veuillent forcément y voir l’une ou l’autre, ou même, comme Schopenhauer, l’une et l’autre à la fois. Le nom de ce dernier darshana signifie étymologiquement « fin du Vêda » et le mot « fin » doit être entendu ici dans le double sens, qu’il a aussi en français, de conclusion et de but ; en effet, les Upanishads, sur lesquelles il se base essentiellement, forment la dernière partie des textes vêdiques, et ce qui y est enseigné, dans la mesure où il peut l’être est le but dernier et suprême de la connaissance traditionnelle tout entière, dégagée de toutes les applications plus ou moins particulières et contingentes auxquelles elle peut donner lieu dans des ordres divers. La désignation même des Upanishads indique qu’elles sont destinées à détruire l’ignorance, racine de l’illusion qui enferme l’être dans les liens de l’existence conditionnée, et qu’elles opèrent cet effet en fournissant les moyens d’approcher de la connaissance de Brahma ; s’il n’est question que d’approcher de cette connaissance, c’est que étant rigoureusement incommunicable dans son essence, elle ne peut être atteinte effectivement que par un travail strictement personnel, auquel aucun enseignement extérieur, si élevé et si profond qu’il soit, n’a le pouvoir de suppléer.

Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues - page 141

Dans cet exposé, que nous avons voulu faire aussi synthétique que possible, nous avons constamment essayé de montrer, en même temps que les caractères distinctifs de chaque darshana, comment celui-ci se rattache à la métaphysique, qui est le centre commun à partir duquel se développent, dans des directions diverses, toutes les branches de la doctrine ; cela nous fournissait d’ailleurs l’occasion de préciser un certain nombre de points importants relativement à la conception d’ensemble de cette doctrine. A cet égard, il faut bien comprendre que, si le Vêdânta est compté comme le dernier des darshanas, parce qu’il représente l’achèvement de toute connaissance, il n’en est pas moins, dans son essence, le principe dont tout le reste dérive et n’est que la spécification ou l’application. Si une connaissance ne dépendait pas ainsi de la métaphysique, elle manquerait littéralement de principe et, par suite, ne saurait avoir aucun caractère traditionnel.

(A suivre...)
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Message  SFuchs Mar 18 Oct 2022 - 9:57


IV/ Une étude particulière du Vedanta

En s'appuyant sur le Vedanta, René Guénon établit une cartographie et une hiérarchie des niveaux de la réalité et de l'au-delà, allant de l'Infini métaphysique jusqu'à la substance dans sa forme la plus élémentaire.

4.1 Les hiérarchies

Cet extrait propose une synthèse dense mais remarquable de l’organisation hiérarchique des niveaux de réalité

L'homme et son devenir selon le Vedanta - page 35

L’état proprement humain, de même que tout autre état individuel, appartient tout entier à l’ordre de la manifestation formelle, puisque c’est précisément la présence de la forme parmi les conditions d’un certain mode d’existence qui caractérise ce mode comme individuel. Si donc nous avons à envisager un élément informel, ce sera là un élément supra-individuel, et, quant à ses rapports avec l’individualité humaine, il ne devra jamais être regardé comme constitutif de celle-ci, ou comme en faisant partie à un titre quelconque, mais comme reliant l’individualité à la personnalité. Cette dernière, en effet, est non-manifestée, même en tant qu’on la considère plus spécialement comme le principe des états manifestés, de même que l’Être, tout en étant proprement le principe de la manifestation universelle, est en dehors et au-delà de cette manifestation (et l’on peut se souvenir ici du « moteur immobile » d’Aristote) ; mais, d’un autre côté, la manifestation informelle est encore principielle, en un sens relatif, par rapport à la manifestation formelle, et ainsi elle établit un lien entre celle-ci et son principe supérieur non-manifesté, qui est d’ailleurs le principe commun de ces deux ordres de manifestation. De même, si l’on distingue ensuite, dans la manifestation formelle ou individuelle, l’état subtil et l’état grossier, le premier est, plus relativement encore, principiel par rapport au second, et, par suite, il se situe hiérarchiquement entre ce dernier et la manifestation informelle. On a donc, par une série de principes de plus en plus relatifs et déterminés, un enchaînement à la fois logique et ontologique (les deux points de vue se correspondant d’ailleurs de telle façon qu’on ne peut les séparer qu’artificiellement), s’étendant depuis le non-manifesté jusqu’à la manifestation grossière, en passant par l’intermédiaire de la manifestation informelle, puis de la manifestation subtile ; et, qu’il s’agisse du « macrocosme » ou du « microcosme », tel est l’ordre général qui doit être suivi dans le développement des possibilités de manifestation.

Par la suite, nous exposerons de façon descendante les niveaux métaphysiques et ceux qui, déjà décrits dans le Samkhya, leurs succèdent dans l’ordre de la manifestation.

4.1.1 L'infini/La Possibilité universelle/Le Tout/Brahma

Les états multiples de l'Etre - page 6

Pour bien comprendre la doctrine de la multiplicité des états de l’être, il est nécessaire de remonter, avant toute autre considération, jusqu’à la notion la plus primordiale de toutes, celle de l’Infini métaphysique, envisagé dans ses rapports avec la Possibilité universelle. L’Infini est, suivant la signification étymologique du terme qui le désigne, ce qui n’a pas de limites ; et, pour garder à ce terme son sens propre, il faut en réserver rigoureusement l’emploi à la désignation de ce qui n’a absolument aucune limite.

Les états multiples de l'être - page 6

L’Infini, au contraire, pour être vraiment tel, ne peut admettre aucune restriction, ce qui suppose qu’il est absolument inconditionné et indéterminé, car toute détermination, quelle qu’elle soit, est forcément une limitation, par là même qu’elle laisse quelque chose en dehors d’elle, à savoir toutes les autres déterminations également possibles. La limitation présente d’ailleurs le caractère d’une véritable négation : poser une limite, c’est nier, pour ce qui y est enfermé, tout ce que cette limite exclut ; par suite, la négation d’une limite est proprement la négation d’une négation, c’est-à-dire, logiquement et même mathématiquement, une affirmation, de telle sorte que la négation de toute limite équivaut en réalité à l’affirmation totale et absolue. Ce qui n’a pas de limites, c’est ce dont on ne peut rien nier, donc ce qui contient tout, ce hors de quoi il n’y a rien ; et cette idée de l’Infini, qui est ainsi la plus affirmative de toutes, puisqu’elle comprend ou enveloppe toutes les affirmations particulières, quelles qu’elles puissent être, ne s’exprime par un terme de forme négative qu’en raison même de son indétermination absolue. Dans le langage, en effet, toute affirmation directe est forcément une affirmation particulière et déterminée, l’affirmation de quelque chose, tandis que l’affirmation totale et absolue n’est aucune affirmation particulière à l’exclusion des autres, puisqu’elle les implique toutes également ; et il est facile de saisir dès maintenant le rapport très étroit que ceci présente avec la Possibilité universelle, qui comprend de la même façon toutes les possibilités particulières.

Les états multiples de l'être - page 8

Ajoutons encore une dernière remarque : si l’on parle corrélativement de l’Infini et de la Possibilité, ce n’est pas pour établir entre ces deux termes une distinction qui ne saurait exister réellement ; c’est que l’Infini est alors envisagé plus spécialement sous son aspect actif, tandis que la Possibilité est son aspect passif ; mais, qu’il soit regardé par nous comme actif ou comme passif, c’est toujours l’Infini, qui ne saurait être affecté par ces points de vue contingents, et les déterminations, quel que soit le principe par lequel on les effectue, n’existent ici que par rapport à notre conception.

4.1.2 L'Etre et le non-Être, la manifestation et la non-manifestation

Les états multiples de l'Etre - page 15

Dans ce qui précède, nous avons indiqué la distinction des possibilités de manifestation et des possibilités de non-manifestation, les unes et les autres étant également comprises, et au même titre, dans la Possibilité totale. Cette distinction s’impose à nous avant toute autre distinction plus particulière, comme celle des différents modes de la manifestation universelle, c’est-à-dire des différents ordres de possibilités qu’elle comporte, réparties selon les conditions spéciales auxquelles elles sont respectivement soumises, et constituant la multitude indéfinie des mondes ou des degrés de l’Existence.
Cela posé, si l’on définit l’Être, au sens universel, comme le principe de la manifestation, et en même temps comme comprenant, par là même, l’ensemble de toutes les possibilités de manifestation, nous devons dire que l’Être n’est pas infini, puisqu’il ne coïncide pas avec la Possibilité totale ; et cela d’autant plus que l’Être, en tant que principe de la manifestation, comprend bien en effet toutes les possibilités de manifestation, mais seulement en tant qu’elles se manifestent. En dehors de l’Être, il y a donc tout le reste, c’est-à-dire toutes les possibilités de non-manifestation, avec les possibilités de manifestation elles-mêmes en tant qu’elles sont à l’état non manifesté ; et l’Être lui-même s’y trouve inclus, car, ne pouvant appartenir à la manifestation, puisqu’il en est le principe, il est lui-même non manifesté. Pour désigner ce qui est ainsi en dehors et au-delà de l’Être, nous sommes obligé, à défaut de tout autre terme, de l’appeler le Non-Être ; et cette expression négative, qui, pour nous, n’est à aucun degré synonyme de « néant » comme elle paraît l’être dans le langage de certains philosophes, outre qu’elle est directement inspirée de la terminologie de la doctrine métaphysique extrême-orientale, est suffisamment justifiée par la nécessité d’employer une dénomination quelconque pour pouvoir en parler, jointe à la remarque, déjà faite par nous plus haut, que les idées les plus universelles, étant les plus indéterminées, ne peuvent s’exprimer, dans la mesure où elles sont exprimables, que par des termes qui sont en effet de forme négative, ainsi que nous l’avons vu en ce qui concerne l’Infini. On peut dire aussi que le Non-Être, dans le sens que nous venons d’indiquer, est plus que l’Être, ou, si l’on veut, qu’il est supérieur à l’Être, si l’on entend par là que ce qu’il comprend est au-delà de l’extension de l’Être, et qu’il contient en principe l’Être lui-même. Seulement, dès lors qu’on oppose le Non-Être à l’Être, ou même qu’on les distingue simplement, c’est que ni l’un ni l’autre n’est infini, puisque, à ce point de vue, ils se limitent l’un l’autre en quelque façon ; l’infinité n’appartient qu’à l’ensemble de l’Être et du Non Être, puisque cet ensemble est identique à la Possibilité universelle.

Les états multiples de l'être - page 18

Nous nous bornerons donc, à ce propos, à faire observer ceci : comme le Non-Être, ou le non-manifesté, comprend ou enveloppe l’Être, ou le principe de la manifestation, le silence comporte en lui-même le principe de la parole ; en d’autres termes, de même que l’Unité (l’Être) n’est que le Zéro métaphysique (le Non-Être) affirmé, la parole n’est que le silence exprimé ; mais, inversement, le Zéro métaphysique, tout en étant l’Unité non-affirmée, est aussi quelque chose de plus (et même infiniment plus), et de même le silence, qui en est un aspect au sens que nous venons de préciser, n’est pas simplement la parole non-exprimée, car il faut y laisser subsister en outre ce qui est inexprimable, c’est-à-dire non susceptible de manifestation (car qui dit expression dit manifestation, et même manifestation formelle), donc de détermination en mode distinctif.

Les états multiples de l'être - page 15

Dans ce qui précède, nous avons indiqué la distinction des possibilités de manifestation et des possibilités de non-manifestation, les unes et les autres étant également comprises, et au même titre, dans la Possibilité totale. Cette distinction s’impose à nous avant toute autre distinction plus particulière, comme celle des différents modes de la manifestation universelle, c’est-à-dire des différents ordres de possibilités qu’elle comporte, réparties selon les conditions spéciales auxquelles elles sont respectivement soumises, et constituant la multitude indéfinie des mondes ou des degrés de l’Existence.

Les états multiples de l'être - page 13

La distinction du possible et du réel, sur laquelle maints philosophes ont tant insisté, n’a donc aucune valeur métaphysique : tout possible est réel à sa façon, et suivant le mode que comporte sa nature ; autrement, il y aurait des possibles qui ne seraient rien, et dire qu’un possible n’est rien est une contradiction pure et simple ; c’est l’impossible, et l’impossible seul, qui est, comme nous l’avons déjà dit, un pur néant. Nier qu’il y ait des possibilités de non-manifestation, c’est vouloir limiter la Possibilité universelle ; d’autre part, nier que, parmi les possibilités de manifestation, il y en ait de différents ordres, c’est vouloir la limiter plus étroitement encore.

4.1.3 Manifestation formelle et manifestation informelle

L'homme et son devenir selon le Vedanta - page 17

Cependant, il faut tenir compte de certains états de manifestation qui, étant informels, sont par là même supra-individuels ; si donc on ne distingue que l’Universel et l’individuel, on devra forcément rapporter ces états à l’Universel, ce qu’on pourra d’autant mieux faire qu’il s’agit d’une manifestation qui est encore principielle en quelque sorte, au moins par comparaison avec les états individuels ; mais cela, bien entendu, ne doit pas faire oublier que tout ce qui est manifesté, même à ces degrés supérieurs, est nécessairement conditionné, c’est-à-dire relatif. Si l’on considère les choses de cette façon, l’Universel sera, non plus seulement le non-manifesté, mais l’informel, comprenant à la fois le non-manifesté et les états de manifestation supra-individuels ; quant à l’individuel, il contient tous les degrés de la manifestation formelle, c’est-à-dire tous les états où les êtres sont revêtus de formes, car ce qui caractérise proprement l’individualité et la constitue essentiellement comme telle, c’est précisément la présence de la forme parmi les conditions limitatives qui définissent et déterminent un état d’existence.

Les états multiples de l'être - page 65

Toute possibilité de manifestation, avons-nous dit plus haut, doit se manifester par là même qu’elle est ce qu’elle est, c’est-à-dire une possibilité de manifestation, de telle sorte que la manifestation est nécessairement impliquée en principe par la nature même de certaines possibilités. Ainsi, la manifestation, qui est purement contingente en tant que telle, n’en est pas moins nécessaire dans son principe, de même que, transitoire en elle-même, elle possède cependant une racine absolument permanente dans la Possibilité universelle ; et c’est là, d’ailleurs, ce qui fait toute sa réalité.

4.1.4 L'Existence et ses degrés

Les états multiples de l'être - page 20

Les états de non-manifestation sont du domaine du Non-Être, et les états de manifestation sont du domaine de l’Être, envisagé dans son intégralité ; on peut dire aussi que ces derniers correspondent aux différents degrés de l’Existence, ces degrés n’étant pas autre chose que les différents modes, en multiplicité indéfinie, de la manifestation universelle. Pour établir ici une distinction nette entre l’Être et l’Existence, nous devons, ainsi que nous l’avons déjà dit, considérer l’Être comme étant proprement le principe même de la manifestation ; l’Existence universelle sera alors la manifestation intégrale de l’ensemble des possibilités que comporte l’Être, et qui sont d’ailleurs toutes les possibilités de manifestation, et ceci implique le développement effectif de ces possibilités en mode conditionné. Ainsi, l’Être enveloppe l’Existence, et il est métaphysiquement plus que celle-ci, puisqu’il en est le principe ; l’Existence n’est donc pas identique à l’Être, car celui-ci correspond à un moindre degré de détermination, et, par conséquent, à un plus haut degré d’universalité.

Le Symbolisme de la Croix - page 12

Il résulte de là que l’Existence, dans son « unicité », comporte, comme nous l’avons déjà indiqué tout à l’heure, une indéfinité de degrés, correspondant à tous les modes de la manifestation universelle ; et cette multiplicité indéfinie des degrés de l’Existence implique corrélativement, pour un être quelconque envisagé dans sa totalité, une multiplicité pareillement indéfinie d’états possibles, dont chacun doit se réaliser dans un degré déterminé de l’Existence.

4.1.5 Îshwara (Dieu dans les monothéismes), première de toutes les déterminations

L'homme et son devenir selon le Vedanta - page 13

La considération d’Îshwara est donc déjà un point de vue relatif : c’est la plus haute des relativités, la première de toutes les déterminations, mais il n’en est pas moins vrai qu’il est « qualifié » (saguna), et « conçu distinctement » (savishêsha), tandis que Brahma est « non-qualifié » ( nirguna), « au-delà de toute distinction » (nirvishêsha), absolument inconditionné, et que la manifestation universelle toute entière est rigoureusement nulle au regard de Son Infinité. Métaphysiquement, la manifestation ne peut être envisagée que dans sa dépendance à l’égard du Principe Suprême, et à titre de simple « support » pour s’élever à la Connaissance transcendante, ou encore, si l’on prend les choses en sens inverse, à titre d’application de la Vérité principielle.

Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues - page 110

Le Principe impersonnel, donc absolument universel, est désigné comme Brahma ; la « personnalité divine » qui en est une détermination ou une spécification, impliquant un moindre degré d’universalité, a pour appellation la plus générale celle d’Îshwara. Brahma, dans son Infinité, ne peut être caractérisé par aucune attribution positive, ce qu’on exprime en disant qu’il est nirguna ou « au-delà de toute qualification », et encore nirvishesha ou « au-delà de toute distinction » ; par contre, Îshwara est dit saguna ou « qualifié », et savishêsha ou « conçu directement » parce qu’il peut recevoir de telles attributions, qui s’obtiennent par une transposition analogique dans l’universel, des diverses qualités ou propriétés des êtres dont il est le principe.

A l'image des conditions de manifestation selon les trois gunas que nous avons évoqué dans le Samkhya, Ishwara se manifeste selon une figure trinitaire.

Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues - page 110

Îshwara est envisagé sous une triplicité d’aspects principaux, qui constituent la Trimûrti ou « triple manifestation », et desquels dérivent d’autres aspects plus particuliers, secondaires par rapport à ceux-là. Brahmâ est Îshwara en tant que principe producteur des êtres manifestés ; il est ainsi appelé parce qu’il est considéré comme le reflet direct, dans l’ordre de la manifestation, de Brahma, le Principe suprême.
[....]
Les deux autres aspects constitutifs de la Trimûrti, qui sont complémentaires l’un de l’autre, sont Vishnu, qui est Îshwara en tant que principe animateur et conservateur des êtres, et Shiva, qui est Îshwara en tant que principe, non pas destructeur comme on le dit communément, mais plus exactement transformateur ; ce sont donc bien là des « fonctions universelles », et non des entités séparées et plus ou moins individualisées.

Le Védanta, la métaphysique et la Tradition dans l'oeuvre de René Guénon - Lecture commentée Guenon_02
Une représentation traditionnelle de la Trimûrti


4.1.6 Buddhi, déjà évoqué dans le Samkhya

L'homme et son devenir selon le Vedanta - page 38

Le premier degré de la manifestation d’Âtmâ, en entendant cette expression au sens que nous avons précisé dans le chapitre précédent, est l’intellect supérieur (Buddhi), qui, comme nous l’avons vu plus haut, est aussi appelé Mahat ou le « grand principe » : c’est le second des vingt-cinq principes du Sânkhya, donc la première de toutes les productions de Prakriti. Ce principe est encore d’ordre universel, puisqu’il est informel ; cependant, on ne doit pas oublier qu’il appartient déjà à la manifestation, et c’est pourquoi il procède de Prakriti, car toute manifestation, à quelque degré qu’on l’envisage, présuppose nécessairement ces deux termes corrélatifs et complémentaires que sont Purusha et Prakriti, l’« essence » et la « substance ». Il n’en est pas moins vrai que Buddhi dépasse le domaine, non seulement de l’individualité humaine, mais de tout état individuel quel qu’il soit, et c’est ce qui justifie son nom de Mahat ; elle n’est donc jamais individualisée en réalité, et ce n’est qu’au stade suivant que nous trouverons l’individualité effectuée, avec la conscience particulière (ou mieux « particulariste ») du « moi ». Buddhi, considérée par rapport à l’individualité humaine ou à tout autre état individuel, en est donc le principe immédiat, mais transcendant , comme, au point de vue de l’Existence universelle , la manifestation informelle l’est de la manifestation formelle ; et elle est en même temps ce qu’on pourrait appeler l’ expression de la personnalité dans la manifestation, donc ce qui unifie l’être à travers la multiplicité indéfinie de ses états individuels (l’état humain, dans toute son extension, n’étant qu’un de ces états parmi les autres). En d’autres termes, si l’on regarde le « Soi » (Âtmâ) ou la personnalité comme le Soleil spirituel qui brille au centre l’être total, Buddhi sera le rayon directement émané ce Soleil et illuminant dans son intégralité l’état individuel que nous avons à envisager plus spécialement, tout en le reliant aux autres états individuels du même être, ou même, plus généralement encore, à tous ses états manifestés (individuels et non-individuels), et, par-delà ceux-ci, au centre lui-même.

4.1.7 La conscience Ahankhara, déjà évoquée dans le Samkhya

L'homme et son devenir selon le Vedanta - page 40

Comme nous l’avons déjà indiqué, cette conscience qui est le troisième principe du Sânkhya, donne naissance à la notion du «moi » (aham, d’où le nom d’ahankâra, littéralement « ce qui fait le moi »), car elle a pour fonction propre de prescrire la conviction individuelle (abhimâna), c’està-dire précisément la notion que « je suis » concerné par les objets externes (bâhya) et internes (abhyantara), qui sont respectivement les objets de la perception (pratyaksha) et de la contemplation (dhyâna); et l’ensemble de ces objets est désigné par le terme idam, « ceci », quand il est ainsi conçu par opposition avec aham ou le «moi », opposition toute relative d’ailleurs, et bien différente en cela de celle que les philosophes modernes prétendent établir entre le « sujet » et l’« objet », ou entre l’« esprit » et les « choses ». Ainsi, la conscience individuelle procède immédiatement, mais à titre de simple modalité « conditionnelle », du principe intellectuel, et, à son tour, elle produit tous les autres principes ou éléments spéciaux de l’individualité humaine.

4.1.8 Manas le sens interne, les sens externes (voir également le Samkhya)

L'homme et son devenir selon le Vedanta - page 41

Entre les tanmâtras et les bhûtas, et constituant avec ces derniers le groupe des « productions improductives », il y a onze facultés distinctes, proprement individuelles, qui procèdent d’ahankâra, et qui, en même temps, participent toutes des cinq tanmâtras. Des onze facultés dont il s’agit, dix sont externes : cinq de sensation et cinq d’action ; la onzième, dont la nature tient à la fois des unes et des autres, est le sens interne ou faculté mentale (manas), et cette dernière est unie directement à la conscience (ahankâra). C’est à manas que doit être rapportée la pensée individuelle, qui est d’ordre formel (et nous y comprenons la raison aussi bien que la mémoire et l’imagination), et qui n’est nullement inhérente à l’intellect transcendant (Buddhi), dont les attributions sont essentiellement informelles.

4.1.9 Les éléments (les bhûtas) (voir également le Samkhya)

L'homme et son devenir selon le Vedanta - page 41

Les cinq bhûtas sont, dans l’ordre de leur production ou de leur manifestation (ordre correspondant à celui qui vient d’être indiqué pour les tanmâtras, puisqu’à chaque élément appartient en propre une qualité sensible), l’Éther (Âkâsha), l’Air (Vâyu), le Feu (Têjas), l’Eau (Ap) et la Terre (Prithwî ou Prithivî); et c’est d’eux qu’est formée toute la manifestation grossière ou corporelle.

(A suivre...)


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Message  SFuchs Mar 18 Oct 2022 - 14:47


4.2 Le non-dualisme (advaïta)

Le non-dualisme est un aspect essentiel du Vedanta selon Adi Shankara, dont René Guénon se revendique. C'est pourquoi il est important de bien comprendre la subtilité de cette notion

Le Védanta, la métaphysique et la Tradition dans l'oeuvre de René Guénon - Lecture commentée Guenon_03
Portrait d’Adi Shankara
(8ème siècle, an 700 à 788 environ)

Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues - page 137

Le Vêdânta, par là même qu’il est purement métaphysique, se présente essentiellement comme adwaita-vâda ou « doctrine de la non-dualité » ; nous avons expliqué le sens de cette expression en différenciant la pensée métaphysique de la pensée philosophique. Pour en préciser la portée autant que cela se peut, nous dirons maintenant que, tandis que l’Être est « un », le Principe suprême, désigné comme Brahma, peut seulement être dit « sans dualité », parce que, étant au-delà de toute détermination, même de l’Être qui est la première de toutes, il ne peut être caractérisé par aucune attribution positive : ainsi l’exige son infinité, qui est nécessairement la totalité absolue, comprenant en soi toutes les possibilités. Il ne peut donc rien y avoir qui soit réellement hors de Brahma, car cette supposition équivaudrait à le limiter ; comme conséquence immédiate, le monde, en entendant par ce mot, dans le sens le plus large dont il soit susceptible, l’ensemble de la manifestation universelle, n’est point distinct de Brahma, ou, du moins, ne s’en distingue qu’en mode illusoire. Cependant, d’autre part, Brahma est absolument distinct du monde, puisqu’on ne peut lui appliquer aucun des attributs déterminatifs qui conviennent au monde, la manifestation universelle tout entière étant rigoureusement nulle au regard de son infinité.

L'homme et son devenir selon le Vedanta - page 70

On remarquera que tout ce qui concerne cet état inconditionné d’Âtmâ est exprimé sous une forme négative ; et il est facile de comprendre qu’il en soit ainsi, car, dans le langage, toute affirmation directe est forcément une affirmation particulière et déterminée, l’affirmation de quelque chose qui exclut autre chose, et qui limite ainsi ce dont on peut l’affirmer. Toute détermination est une limitation, donc une négation ; par suite, c’est la négation d’une détermination qui est une véritable affirmation, et les termes d’apparence négative que nous rencontrons ici sont, dans leur sens réel, éminemment affirmatifs. D’ailleurs, le mot « Infini », dont la forme est semblable, exprime la négation de toute limite, de sorte qu’il équivaut à l’affirmation totale et absolue, qui comprend ou enveloppe toutes les affirmations particulières, mais qui n’est aucune de celles -ci à l’exclusion des autres, précisément parce qu’elle les implique toutes également et « non-distinctivement » ; et c’est ainsi que la Possibilité Universelle comprend absolument toutes les possibilités. Tout ce qui peut s’exprimer sous une forme affirmative est nécessairement enfermé dans le domaine de l’Être, puisque celui-ci est lui-même la première affirmation ou la première détermination, celle dont procèdent toutes les autres, de même que l’unité est le premier des nombres et que ceux-ci en dérivent tous ; mais, ici, nous sommes dans la « non-dualité », et non plus dans l’unité, ou, en d’autres termes, nous sommes au-delà de l’Être, par là même que nous sommes au-delà de toute détermination, même principielle.

Les états multiples de l'être - page 23

Dans le Non-Être, il n’y a pas de multiplicité, et, en toute rigueur, il n’y a pas non plus d’unité, car le Non-Être est le Zéro métaphysique, auquel nous sommes obligés de donner un nom pour en parler, et qui est logiquement antérieur à l’unité ; c’est pourquoi la doctrine hindoue parle seulement à cet égard de « non-dualité » (adwaita), ce qui, d’ailleurs, doit encore être rapporté à ce que nous avons dit plus haut sur l’emploi des termes de forme négative.

Les états multiples de l'être - page 24

En effet, l’unité primordiale n’est pas autre chose que le Zéro affirmé, ou, en d’autres termes, l’Être universel, qui est cette unité, n’est que le Non-Être affirmé, dans la mesure où est possible une telle affirmation, qui est déjà une première détermination, car elle n’est que la plus universelle de toutes les affirmations définies, donc conditionnées ; et cette première détermination, préalable à toute manifestation et à toute particularisation (y compris la polarisation en « essence » et « substance » qui est la première dualité et, comme telle, le point de départ de toute multiplicité), contient en principe toutes les autres déterminations ou affirmations distinctives (correspondant à toutes les possibilités de manifestation), ce qui revient à dire que l’unité, dès lors qu’elle est affirmée, contient en principe la multiplicité, ou qu’elle est elle-même le principe immédiat de cette multiplicité.

L'homme et son devenir selon le Vedanta - page 35

Enfin, si l’Etre est un, le Principe Suprême est « sans dualité », comme on le verra par la suite : l’unité, en effet, est la première de toutes les déterminations, mais elle est déjà une détermination, et, comme telle, elle ne saurait proprement être appliquée au Principe Suprême.

4.3 L'irréciprocité des niveaux de réalité, élément de logique fondamental de la métaphysique du Vedanta

Les états multiples de l'être - page 65

Il n’y a aucune difficulté à concevoir que la manifestation soit ainsi à la fois nécessaire et contingente sous des points de vue différents, pourvu que l’on fasse bien attention à ce point fondamental, que le principe ne peut être affecté par quelque détermination que ce soit, puisqu’il en est essentiellement indépendant, comme la cause l’est de ses effets, de sorte que la manifestation, nécessitée par son principe, ne saurait inversement le nécessiter en aucune façon. C’est donc l’« irréversibilité » ou l’« irréciprocité » de la relation que nous envisageons ici qui résout toute la difficulté ordinairement supposée en cette question , difficulté qui n’existe en somme que parce qu’on perd de vue cette « irréciprocité » ; et, si on la perd de vue , c’est que, par le fait qu’on se trouve actuellement placé dans la manifestation, on est naturellement amené à attribuer à celle-ci une importance que, du point de vue universel, elle ne saurait aucunement avoir. Pour mieux faire comprendre notre pensée à cet égard, nous pouvons prendre ici encore un symbole spatial, et dire que la manifestation, dans son intégralité, est véritablement nulle au regard de l’Infini, de même (sauf les réserves qu’exige toujours l’imperfection de telles comparaisons) qu’un point situé dans l’espace est égal à zéro par rapport à cet espace ; cela ne veut pas dire que ce point ne soit rien absolument (d’autant plus qu’il existe nécessairement par là même que l’espace existe), mais il n’est rien sous le rapport de l’étendue, il est rigoureusement un zéro d’étendue ; et la manifestation n’est rien de plus, par rapport au Tout universel, que ce qu’est ce point par rapport à l’espace envisagé dans toute l’indéfinité de son extension, et encore avec cette différence que l’espace est quelque chose de limité par sa propre nature, tandis que le Tout universel est l’Infini.

L'homme et son devenir selon le Vedanta - page 34

Nous devons maintenant passer à l’énumération des différents degrés de la manifestation d’Âtmâ, envisagé comme la personnalité, en tant que cette manifestation constitue l’individualité humaine ; et nous pouvons bien dire qu’elle la constitue effectivement, puisque cette individualité n’aurait aucune existence si elle était séparée de son principe, c’est-à-dire de la personnalité. Toutefois, la façon de parler que nous venons d’employer appelle une réserve : par la manifestation d’Âtmâ, il faut entendre la manifestation rapportée à Âtmâ comme à son principe essentiel ; mais il ne faudrait pas comprendre par là qu’Âtmâ se manifeste en quelque façon, car il n’entre jamais dans la manifestation, ainsi que nous l’avons dit précédemment, et c’est pourquoi il n’en est aucunement affecté. En d’autres termes, Âtmâ est « Ce par quoi tout est manifesté, et qui n’est soi-même manifesté par rien »; et c’est là ce qu’il ne faudra jamais perdre de vue dans tout ce qui va suivre.

L'homme et son devenir selon le Vedanta - page 49

Ainsi, le Monde, en entendant par ce mot l’ensemble de la manifestation universelle, ne peut se distinguer de Brahma qu’en mode illusoire, tandis que, par contre, Brahma est absolument « distinct de ce qu’Il pénètre », c’est-à-dire du Monde, puisqu’ on ne peut Lui appliquer aucun des attributs déterminatifs qui conviennent à celui -ci, et que la manifestation universelle tout entière est rigoureusement nulle au regard de Son Infinité.
[...]
On pourrait dire encore que Brahma est le Tout absolu, par là même qu’Il est infini, mais que, d’autre part, si toutes choses sont en Brahma, elles ne sont point Brahma en tant qu’elles sont envisagées sous l’aspect de la distinction, c’est-à-dire précisément en tant que choses relatives et conditionnées, leur existence comme telles n’étant d’ailleurs qu’une illusion vis-à-vis de la réalité suprême ; ce qui est dit des choses et ne saurait convenir à Brahma, ce n’est que l’expression de la relativité, et en même temps, celle-ci étant illusoire, la distinction l’est pareillement, parce que l’un de ses termes s’évanouit devant l’autre, rien ne pouvant entrer en corrélation avec l’Infini ; c’est en principe seulement que toutes choses sont Brahma, mais aussi c’est cela seul qui est leur réalité profonde ; et c’est là ce qu’il ne faut jamais perdre de vue si l’on veut comprendre ce qui suivra.

Les états multiples de l'être - page 22

Quant aux états de non-manifestation, il est évident que, n’étant pas soumis à la forme, non plus qu’à aucune autre condition d’un mode quelconque d’existence manifestée, ils sont essentiellement extra-individuels ; nous pouvons dire qu’ils constituent ce qu’il y a de vraiment universel en chaque être, donc ce par quoi tout être se rattache, en tout ce qu’il est, à son principe métaphysique et transcendant, rattachement sans lequel il n’aurait qu’une existence toute contingente et purement illusoire au fond.

Les états multiples de l'être - page 25

C’est donc dans l’unité même que la multiplicité existe, et, comme elle n’affecte pas l’unité c’est qu’elle n’a qu’une existence toute contingente par rapport à celle-ci ; nous pouvons même dire que cette existence, tant qu’on ne la rapporte pas à l’unité comme nous venons de le faire, est purement illusoire ; c’est l’unité seule qui, étant son principe, lui donne toute la réalité dont elle est susceptible ; et l’unité elle-même, à son tour, n’est pas un principe absolu et se suffisant à soi-même mais c’est du Zéro métaphysique qu’elle tire sa propre réalité.

L'homme et son devenir selon le Vedanta - page 17

Il importe d’ajouter que la distinction de l’Universel et de l’individuel ne doit point être regardée comme une corrélation, car le second des deux termes, s’annulant rigoureusement au regard du premier, ne saurait lui être opposé en aucune façon. Il en est de même en ce qui concerne le non-manifesté et le manifesté ; d’ailleurs, il pourrait sembler au premier abord que l’Universel et le non-manifesté doivent coïncider, et, d’un certain point de vue, leur identification serait en effet justifiée, puisque, métaphysiquement, c’est le non-manifesté qui est tout l’essentiel.

L'homme et son devenir selon le Vedanta - page 33

Comme l’image du soleil réfléchie dans l’eau tremble ou vacille, en suivant les ondulations de cette eau, sans cependant affecter les autres images réfléchies dans celle-ci, ni à plus forte raison l’orbe solaire lui-même, ainsi les modifications d’un individu n’affectent pas un autre individu, ni surtout le Suprême Ordonnateur Lui-même », qui est Purushottama, et auquel la personnalité est réellement identique en son essence, comme toute étincelle est identique au feu considéré comme indivisible quant à sa nature intime. C’est l’« âme vivante » ( jîvâtmâ) qui est ici comparée à l’image du soleil dans l’eau, comme étant la réflexion (âbhâsa), dans le domaine individuel et par rapport à chaque individu, de la Lumière, principiellement une, de l’« Esprit Universel » (Âtmâ) ; et le rayon lumineux qui fait exister cette image et l’unit à sa source est, ainsi que nous le verrons plus loin, l’intellect supérieur ( Buddhi), qui appartient au domaine de la manifestation informelle. Quant à l’eau, qui réfléchit la lumière solaire, elle est habituellement le symbole du principe plastique (Prakriti), l’image de la « passivité universelle » ; et d’ailleurs ce symbole, avec la même signification, est commun à toutes les doctrines traditionnelles. Ici, cependant, il faut apporter une restriction à son sens général, car Buddhi, tout en étant informelle et supra-individuelle, est encore manifestée, et, par suite, relève de Prakriti dont elle est la première production ; l’eau ne peut donc représenter ici que l’ensemble potentiel des possibilités formelles, c’est-à-dire le domaine de la manifestation en mode individuel, et  ainsi elle laisse en dehors d’elle ces possibilités informelles qui, tout en correspondant à des états de manifestation, doivent pourtant être rapportées à l’Universel.


Le Védanta, la métaphysique et la Tradition dans l'oeuvre de René Guénon - Lecture commentée Guenon_04
L’âme vivante, reflet d’Atma dans l’Existence ; tel le reflet du soleil dans l’eau

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Le Védanta, la métaphysique et la Tradition dans l'oeuvre de René Guénon - Lecture commentée Empty Re: Le Védanta, la métaphysique et la Tradition dans l'oeuvre de René Guénon - Lecture commentée

Message  SFuchs Jeu 20 Oct 2022 - 17:28


V/ A propos du symbolisme

5.1 Origine du symbolisme. L'écriture et les idéogrammes

Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues - page 59

Le nom de « symbole », dans son acception la plus générale, peut s’appliquer à toute expression formelle d’une doctrine, expression verbale aussi bien que figurée : le mot ne peut avoir d’autre fonction ni d’autre raison d’être que de symboliser l’idée, c’est-à-dire en somme d’en donner, dans la mesure du possible, une représentation sensible, d’ailleurs purement analogique. Ainsi compris, le symbolisme, qui n’est que l’usage de formes ou d’images constituées comme signes d’idées ou de choses suprasensibles, et dont le langage est un simple cas particulier, est évidemment naturel à l’esprit humain, donc nécessaire et spontané. Il est aussi, dans un sens plus restreint, un symbolisme voulu, réfléchi, cristallisant en quelque sorte dans des représentations figuratives les enseignements de la doctrine ; et d’ailleurs, entre l’un et l’autre, il n’y a pas, à vrai dire, de limites précises, car il est très certain que l’écriture, à son origine, fut partout idéographique, c’est-à-dire essentiellement symbolique, même dans cette seconde acception, encore qu’il n’y ait guère qu’en Chine qu’elle le soit toujours demeurée d’une façon exclusive. Quoi qu’il en soit, le symbolisme, tel qu’on l’entend le plus ordinairement, est d’un emploi bien plus constant dans l’expression de la pensée orientale que dans celle de la pensée occidentale ; et cela se comprend facilement si l’on songe qu’il est un moyen d’expression moins étroitement limité que le langage usuel : suggérant plus encore qu’il n’exprime, il est le support le mieux approprié pour des possibilités de conceptions que les mots ne sauraient permettre d’atteindre. Ce symbolisme, en lequel l’indéfinité conceptuelle n’est point exclusive d’une rigueur toute mathématique, et qui concilie ainsi des exigences en apparence contraires, est donc, si l’on peut dire, la langue métaphysique par excellence ; et d ’ailleurs des symboles primitivement métaphysiques ont pu par un processus d’adaptation secondaire parallèle à celui de la doctrine même, devenir ultérieurement des symboles religieux.

5.2 Les rites

Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues - page 59

Les rites, notamment, ont un caractère éminemment symbolique, à quelque domaine qu’il se rattachent, et la transposition métaphysique est toujours possible pour la signification des rites religieux aussi bien que pour la doctrine théologique à laquelle ils sont liés ; même pour des rites simplement sociaux si l’on veut en rechercher la raison profonde, il faut remonter de l’ordre des applications, où résident leurs conditions immédiates, à l’ordre des principes, c’est-à-dire à la source traditionnelle, métaphysique en son essence. Nous ne prétendons point dire, d’ailleurs, que les rites ne soient que de purs symboles ; ils sont cela sans doute et ils ne peuvent ne pas l’être, sous peine d’être totalement vide s de sens, mais on doit en même temps les concevoir comme possédant en eux-mêmes une efficacité propre, en tant que moyens de réalisation agissant en vue de la fin à laquelle ils sont adaptés et subordonnés.

5.3 Les mythes

Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues - page 60

Le « mythe », comme l’« idole » n’a jamais été qu’un symbole incompris : l’un est dans l’ordre verbal ce que l’autre est dans l’ordre figuratif ; chez les Grecs, la poésie produisit le premier comme l’art produisit la seconde ; mais, chez les peuples à qui comme les Orientaux, le naturalisme et l’anthropomorphisme sont également étrangers, ni l’un ni l’autre ne pouvaient prendre naissance, et ils ne le purent en effet que dans l’imagination d’Occidentaux qui voulurent se faire les interprètes de ce qu’ils ne com prenaient point. L’interprétation naturaliste renverse proprement les rapports : un phénomène naturel peut, aussi bien que n’importe quoi dans l’ordre sensible, être pris pour symboliser une idée ou un principe, et le symbole n’a de sens et de raison d’être qu’autant qu’il est d’un ordre inférieur à ce qui est symbolisé.

5.4 La loi de correspondance propre au symbolisme

Le Symbolisme de la Croix - page 6

En effet, on a trop souvent tendance à penser que l’admission d’un sens symbolique doit entraîner le rejet du sens littéral ou historique ; une telle opinion ne résulte que de l’ignorance de la loi de correspondance qui est le fondement même de tout symbolisme, et en vertu de laquelle chaque chose, procédant essentiellement d’un principe métaphysique dont elle tient toute sa réalité, traduit ou exprime ce principe à sa manière et selon son ordre d’existence, de telle sorte que, d’un ordre à l’autre, toutes choses s’enchaînent et se correspondent pour concourir à l’harmonie universelle et totale, qui est, dans la multiplicité de la manifestation, comme un reflet de l’unité principielle elle-même. C’est pourquoi les lois d’un domaine inférieur peuvent toujours être prises pour symboliser ces réalités d’un ordre supérieur, où elles ont leur raison profonde, qui est à la fois leur principe et leur fin ; et nous pouvons rappeler à cette occasion, d’autant plus que nous en trouverons ici même des exemples, l’erreur des modernes interprétations « naturalistes » des antiques doctrines traditionnelles, interprétations qui renversent purement et simplement la hiérarchie des rapports entre les différents ordres de réalité. Ainsi, les symboles ou les mythes n’ont jamais eu pour rôle, comme le prétend une théorie beaucoup trop répandue de nos jours, de représenter le mouvement des astres ; mais la vérité est qu’on y trouve souvent des figures inspirées de celui-ci destinées à exprimer analogiquement tout autre chose, parce que les lois de ce mouvement traduisent physiquement les principes métaphysiques dont elles dépendent.
Ce que nous disons des phénomènes astronomiques, on peut le dire également, et au même titre, de tous les autres genres de phénomènes naturels : ces phénomènes, par là même qu’ils dérivent de principes supérieurs et transcendants, sont véritablement des symboles de ceux-ci ; et il est évident que cela n’affecte en rien la réalité propre que ces phénomènes comme tels possèdent dans l’ordre d’existence auquel ils appartiennent ; tout au contraire, c’est même là ce qui fonde cette réalité, car, en dehors de leur dépendance à l’égard des principes, toutes choses ne seraient qu’un pur néant.
[...]
Ainsi, les symboles ou les mythes n’ont jamais eu pour rôle, comme le prétend une théorie beaucoup trop répandue de nos jours, de représenter le mouvement des astres ; mais la vérité est qu’on y trouve souvent des figures inspirées de celui-ci destinées à exprimer analogiquement tout autre chose, parce que les lois de ce mouvement traduisent physiquement les principes métaphysiques dont elles dépendent. Ce que nous disons des phénomènes astronomiques, on peut le dire également, et au même titre, de tous les autres genres de phénomènes naturels : ces phénomènes, par là même qu’ils dérivent de principes supérieurs et transcendants, sont véritablement des symboles de ceux-ci ; et il est évident que cela n’affecte en rien la réalité propre que ces phénomènes comme tels possèdent dans l’ordre d’existence auquel ils appartiennent ; tout au contraire, c’est même là ce qui fonde cette réalité, car, en dehors de leur dépendance à l’égard des principes, toutes choses ne seraient qu’un pur néant.

Le Symbolisme de la Croix - page 7

Une autre conséquence de la loi de correspondance, c’est la pluralité des sens inclus en tout symbole : une chose quelconque, en effet, peut être considérée comme représentant non seulement les principes métaphysiques, mais aussi les réalités de tous les ordres qui sont supérieurs au sien, bien qu’encore contingents, car ces réalités, dont elle dépend aussi plus ou moins directement, jouent par rapport à elle le rôle de « causes secondes » ; et l’effet peut toujours être pris comme un symbole de la cause, à quelque degré que ce soit, parce que tout ce qu’il est n’est que l’expression de quelque chose qui est inhérent à la nature de cette cause. Ces sens symboliques multiples et hiérarchiquement superposés ne s’excluent nullement les uns les autres, pas plus qu’ils n’excluent le sens littéral ; ils sont au contraire parfaitement concordants entre eux, parce qu’ils expriment en réalité les applications d’un même principe à des ordres divers ; et ainsi ils se complètent et se corroborent en s’intégrant dans l’harmonie de la synthèse totale. C’est d’ailleurs là ce qui fait du symbolisme un langage beaucoup moins étroitement limité que le langage ordinaire, et ce qui rend seul apte à l’expression et à la communication de certaines vérités ; c’est par là qu’il ouvre des possibilités de conception vraiment illimitées ; c’est pourquoi il constitue le langage initiatique par excellence, le véhicule indispensable de tout enseignement traditionnel.


Le Védanta, la métaphysique et la Tradition dans l'oeuvre de René Guénon - Lecture commentée Guenon_05
Aum, symbole du Son originel

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Le Védanta, la métaphysique et la Tradition dans l'oeuvre de René Guénon - Lecture commentée Empty Re: Le Védanta, la métaphysique et la Tradition dans l'oeuvre de René Guénon - Lecture commentée

Message  SFuchs Sam 22 Oct 2022 - 12:22


VI/ Les critiques de René Guénon à l'égard de la philosophie

René Guénon reproche aux philosophes d'Occident leur propension à produire des systèmes de pensées se suffisant à eux-mêmes et donc clos. La réflexion doit rester une conjecture. L'expression d'une doctrine, lorsqu'elle se réclame d'être métaphysique, doit prévoir sa place à l'inexprimable qui est paradoxalement l'essentiel de ce qui doit être désigné.

6.1 Le phénomène de déviation et ses causes

6.1.1 A propos des Grecs

Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues - page 10

La civilisation grecque elle-même est bien loin d’avoir eu cette originalité que se plaisent à proclamer ceux qui sont incapables de voir rien au delà, et qui iraient volontiers jusqu’à prétendre que les Grecs se sont calomniés lorsqu’il leur est arrivé de reconnaître ce qu’ils devaient à l’Égypte, à la Phénicie, à la Chaldée, à la Perse, et même à l’Inde.
[...]
Avant d’aller plus loin, nous préciserons que nous n’entendons pas contester l’originalité de la civilisation hellénique à tel ou tel point de vue plus ou moins secondaire à notre sens, au point de vue de l’art par exemple mais seulement au point de vue proprement intellectuel qui s’y trouve d’ailleurs beaucoup plus réduit que chez les Orientaux.

Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues - page 18

Jusque-là, en effet, les Grecs n’avaient eu que la notion de l’indéfini, et, trait éminemment caractéristique de leur mentalité, fini et parfait étaient pour eux des termes synonymes ; pour les Orientaux, tout au contraire, c’est l’Infini qui est identique à la Perfection. Telle est la différence profonde qui existe entre une pensée philosophique, au sens européen du mot et une pensée métaphysique.

Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues - page 60

Quand on ne voit plus du symbole que la forme extérieure, sa raison d’être et son efficacité actuelle ont également disparu ; le symbole n’est plus qu’une « idole », c’est-à-dire une image vaine, et sa conservation n’est que « superstition » pure, tant qu’il ne se rencontrera personne dont la compréhension soit capable, partiellement ou intégralement, de lui restituer de manière effective ce qu’il a perdu, ou du moins ce qu’il ne contient plus qu’à l’état de possibilité latente. Ce cas est celui des vestiges que laisse après elle toute tradition dont le vrai sens est tombé dans l’oubli, et spécialement celui de toute religion que la commune incompréhension de ses adhérents réduit à un simple formalisme extérieur ; nous avons déjà cité l’exemple le plus frappant peut-être de cette dégénérescence, celui de la religion grecque. C’est aussi chez les Grecs que se trouve à son plus haut degré une tendance qui apparaît comme inséparable de l’« idolâtrie » et de la matérialisation des symboles, la tendance à l’anthropomorphisme : ils ne concevaient point leurs dieux comme représentant certains principes, mais ils se les figuraient véritablement comme des êtres à forme humaine, doués de sentiments humains, et agissant à la manière des hommes et ces dieux, pour eux, n’avaient plus rien qui pût être distingué de la forme dont la poésie et l’art les avaient revêtus, ils n’étaient littéralement rien en dehors de cette forme même.

6.1.2 Inversion hiérarchique entre sciences de la raison (dont la philosophie fait partie) et science de l’intellect pur (la Science sacrée)

Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues - page 63

Nous dirons même plus : le fait de traiter la métaphysique comme une branche de la philosophie, soit en la plaçant ainsi sur le même plan que des relativités quelconques, soit même en la qualifiant de « philosophie première » comme le faisait Aristote, dénote essentiellement une méconnaissance de sa portée véritable et de son caractère d’universalité : le tout absolu ne peut être une partie de quelque chose, et l’universel ne saurait être enfermé ou compris dans quoi que ce soit.

Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues - page 64

Si nous considérons la philosophie moderne dans son ensemble, nous pouvons dire, d’une façon générale, que son point de vue ne présente aucune différence véritablement essentielle avec le point de vue scientifique : c’est toujours un point de vue rationnel, ou du moins qui prétend l’être, et toute connaissance qui se tient dans le domaine de la raison, qu’on la qualifie ou non de philosophique, est proprement une connaissance d’ordre scientifique ; si elle vise à être autre chose, elle perd par là toute valeur, même relative, en s’attribuant une portée qu’elle ne saurait légitimement avoir: c’est le cas de ce que nous appellerons la pseudo-métaphysique.

Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues - page 145

Nous venons de dire que les connaissances pratiques, alors même qu’elles se rattachent à la tradition et y ont leur source, ne sont pourtant que des connaissances inférieures; leur dérivation détermine leur subordination, ce qui n’est que strictement logique, et d’ailleurs les Orientaux, qui, par tempérament et par conviction profonde, se soucient assez peu des applications immédiates, n’ont jamais songé à transporter dans l’ordre de la connaissance pure aucune préoccupation d’intérêt matériel ou sentimental, seul élément susceptible d’altérer cette hiérarchisation naturelle et normale des connaissances. Cette même cause de trouble intellectuel est aussi celle qui, en se généralisant dans la mentalité d’une race ou d’une époque, y amène principalement l’oubli de la métaphysique pure, à laquelle elle fait substituer illégitimement des points de vue plus ou moins spéciaux, en même temps qu’elle donne naissance à des sciences qui n’ont à se réclamer d’aucun principe traditionnel. Ces sciences sont légitimes tant qu’elles se maintiennent dans de justes limites, mais il ne faut pas les prendre pour autre chose que ce qu’elles sont, c’est-à-dire des connaissances analytiques, fragmentaires et relatives; et ainsi, en se séparant radicalement de la métaphysique, avec laquelle son point de vue propre ne permet en effet aucune relation, la science occidentale perdit nécessairement en portée ce qu’elle gagnait en indépendance, et son développement vers les applications pratiques fut compensé par un amoindrissement spéculatif inévitable.

6.1.3 Le tarissement des lignées traditionnelles

Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues - page 91

Là où cette puissance de la tradition est absente, et où il n’y a pas même une autorité extérieure pouvant y suppléer dans une certaine mesure, on ne voit que trop, par l’exemple de la philosophie occidentale moderne, à quelle confusion aboutit le développement et l’expansion sans frein des opinions les plus hasardeuses et les plus contradictoires; si les conceptions fausses prennent alors naissance si facilement et parviennent même à s’imposer à la mentalité commune, c’est qu’il n’est plus possible de se référer à un accord avec les principes parce qu’il n’y a plus de principes au vrai sens de ce mot. Au contraire, dans une civilisation essentiellement traditionnelle, les principes ne sont jamais perdus de vue, et il n’y a qu’à les appliquer, directement ou indirectement, dans un ordre ou dans un autre ; les conceptions qui s’en écartent se produiront donc beaucoup plus rarement, elles seront même exceptionnelles, et, s’il s’en produit cependant parfois, leur crédit ne sera jamais bien grand : ces déviations resteront toujours des anomalies comme elles l’ont été à leur origine, et, si leur gravité est telle qu’elles deviennent incompatibles avec les principes les plus essentiels de la tradition, elles se trouveront par là même rejetées en dehors de la civilisation où elles avaient pris naissance.

Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues - page 171

Nous avons montré le caractère essentiellement traditionnel de toutes les civilisations orientales ; le défaut de rattachement effectif à une tradition est, au fond, la racine même de la déviation occidentale.

6.2 Enumération des déviations identifiées par René Guénon

6.2.1 La systématisation

Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues - page 67

C’est pourquoi, après avoir séparé complètement la métaphysique des diverses sciences dites philosophiques, il faut encore la distinguer, non moins profondément, des systèmes philosophiques, dont une des causes les plus communes est, nous l’avons déjà dit la prétention à l’originalité intellectuelle ; l’individualisme qui s’affirme dans cette prétention est manifestement contraire à tout esprit traditionnel, et aussi incompatible avec toute conception ayant une portée métaphysique véritable. La métaphysique pure est essentiellement exclusive de tout système, parce qu’un système quelconque se présente comme une conception fermée et bornée, comme un ensemble plus ou moins étroitement défini et limité, ce qui n’est aucunement conciliable avec l’universalité de la métaphysique ; et d’ailleurs un système philosophique est toujours le système de quelqu’un, c’est-à-dire une construction dont la valeur ne saurait être que tout individuelle. De plus tout système est nécessairement établi sur un point de départ spécial et relatif, et l’on peut dire qu’il n’est en somme que le développement d’une hypothèse, tandis que la métaphysique, qui a un caractère d’absolue certitude, ne saurait admettre rien d’hypothétique. Nous ne voulons pas dire que tous les systèmes ne puissent pas renfermer une certaine part de vérité, en ce qui concerne tel ou tel point particulier ; mais c’est en tant que systèmes qu’ils sont illégitimes, et c’est à la forme systématique elle-même qu’est inhérente la fausseté radicale d’une telle conception prise dans son ensemble.

6.2.2 Le dualisme esprit/matière

Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues - page 69

De ce qui précède, il résulte encore que la métaphysique est sans aucun rapport avec toutes les conceptions telles que l’idéalisme, le panthéisme, le spiritualisme, le matérialisme, qui portent précisément le caractère systématique de la pensée philosophique occidentale.
[...]
D’une façon tout à fait générale, le dualisme a pour caractère distinctif de s’arrêter à une opposition entre deux termes plus ou moins particuliers, opposition qui, sans doute existe bien réellement à un certain point de vue, et c’est là la part de vérité que renferme le dualisme ; mais, en déclarant cette opposition irréductible et absolue, au lieu qu’elle est toute relative et contingente, il s’interdit d’aller au-delà des deux termes qu’il a posés l’un en face de l’autre, et c’est ainsi qu’il se trouve limité par ce qui fait son caractère de système. Si l’on n’accepte pas cette limitation, et si l’on veut résoudre l’opposition à laquelle le dualisme s’en tient obstinément, il pourra se présenter différentes solutions ; et, tout d’abord, nous en trouvons en effet deux dans les systèmes philosophiques que l’on peut ranger sous la commune dénomination de monisme. On peut dire que le monisme se caractérise essentiellement par ceci, que, n’admettant pas qu’il y ait une irréductibilité absolue, et voulant surmonter l’opposition apparente, il croit y parvenir en réduisant l’un de ses deux termes à l’autre ; s’il s’agit en particulier de l’opposition de l’esprit et de la matière, on aura ainsi, d’une part, le monisme spiritualiste, qui prétend réduire la matière à l’esprit, et, d’autre part, le monisme matérialiste, qui prétend au contraire réduire l’esprit à la matière. Le monisme, quel qu’il soit, a raison d’admettre qu’il n’y a pas d’opposition absolue, car, en cela, il est moins étroitement limité que le dualisme, et il constitue au moins un effort pour pénétrer davantage au fond des choses ; mais il lui arrive presque fatalement de tomber dans un autre défaut, et de négliger complètement, sinon de nier, l’opposition qui, même si elle n’est qu’une apparence, n’en mérite pas moins d’être envisagée comme telle.

6.2.3 Le dualisme sujet/objet

Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues - page 119

C’est là précisément en vertu de ce principe que, dès lors que le sujet connaît un objet, si partielle et si superficielle même que soit cette connaissance, quelque chose de l’objet est dans le sujet et est devenu partie de son être ; quel que soit l’aspect sous lequel nous envisageons les choses, ce sont bien toujours les choses mêmes que nous atteignons, au moins sous un certain rapport, qui forme en tout cas un de leurs attributs, c’est-à-dire un des éléments constitutifs de leur essence. Admettons, si l’on y tient, que ce soit là du « réalisme » ; la vérité est que les choses sont ainsi, et le mot n’y fait rien ; mais, en toute rigueur, les points de vue spéciaux du « réalisme » et de l’ « idéalisme », avec l’opposition systématique que dénote leur corrélation, ne s’appliquent point ici, où nous sommes bien au-delà du domaine borné de la pensée philosophique. Du reste, il ne faut pas perdre de vue que l’acte de la connaissance présente deux faces inséparables: s’il est identification du sujet à l’objet, il est aussi, et par là même, assimilation de l’objet par le sujet: en atteignant les choses dans leur essence, nous les « réalisons », dans toute la force de ce mot, comme des états ou des modalités de notre être propre ; et, si l’idée, selon la mesure où elle est vraie et adéquate, participe de la nature de la chose, c’est que, inversement, la chose elle-même participe aussi de la nature de l’idée. Au fond, il n’y a pas deux mondes séparés et radicalement hétérogènes, tels que les suppose la philosophie moderne en les qualifiant de « subjectif » et d’ « objectif », ou même superposés à la façon du «monde intelligible » et du «monde sensible » de Platon ; mais, comme le disent les Arabes, « l’existence est unique », et tout ce qu’elle contient n’est que la manifestation, sous des modes multiples, d’un seul et même principe, qui est l’Être universel.

6.2.4 L'originalité/le subjectivisme

René Guénon n'a pas de prétention à l'originalité mais le souci de transmettre l'universel et d'éviter le subjectivisme. Il n'expose pas ses idées propres mais se considère comme un canal par lequel s’expriment des idées universelles.

Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues - page 112

Nous avons montré que toute conception systématique, fruit de l’individualisme intellectuel cher aux Occidentaux modernes, est la négation de la métaphysique, qui constitue l’essence même de la doctrine ; nous avons dit aussi quelle est la distinction profonde de la pensée métaphysique et de la pensée philosophique, cette dernière n’étant qu’un mode spécial, propre à l’Occident, et qui ne saurait valablement s’appliquer à la connaissance d’une doctrine traditionnelle qui s’est maintenue dans sa pureté et son intégralité.
[...]
En effet, il ne faut pas oublier que, dans l’Inde aussi bien qu’en Chine, une de plus graves injures que l’on puisse faire à un penseur serait de vanter la nouveauté et l’originalité de ses conceptions, caractère qui, dans des civilisations essentiellement traditionnelles, suffirait à leur enlever toute portée effective.

(A suivre...)


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Message  SFuchs Dim 23 Oct 2022 - 11:20


VII/ Les réserves de René Guénon à l'égard de la religion

René Guénon reconnaît dans la scolastique du Moyen Age un effort louable pour s'intéresser à la métaphysique. Pourtant, celle-ci est censée surplomber la religion plutôt qu'elle ne peut faire l’objet d'une étude dans un cadre religieux. Cette inversion hiérarchique explique que la scolastique ne fut qu'un élan sans suite dans l'histoire du catholicisme, impliquant une perte durable de profondeur et de substance de sa doctrine.

Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues - page 54

Ces confusions n’ont pas manqué de se produire en fait, et elles ont pu aller jusqu’à un renversement des rapports qui devraient normalement exister entre la métaphysique et la théologie, puisque, même au moyen âge qui fut pourtant la seule époque où la civilisation occidentale reçut un développement vraiment intellectuel, il arriva que la métaphysique, d’ailleurs insuffisamment dégagée de diverses considérations d’ordre simplement philosophique, fut conçue comme dépendante à l’égard de la théologie ; et, s’il put en être ainsi, ce ne fut que parce que la métaphysique, telle que l’envisageait la doctrine scolastique, était demeurée incomplète, de sorte qu’on ne pouvait se rendre compte pleinement de son caractère d’universalité, impliquant l’absence de toute limitation, puisqu’on ne la concevait effectivement que dans certaines limites, et qu’on ne soupçonnait même pas qu’il y eût encore au-delà de ces limites une possibilité de conception.

Les monothéismes ont conservé une filiation traditionnelle et donc une part de connaissance authentique, à ce titre ils revêtent un intérêt. Ce qui distingue la religion de la doctrine traditionnelle selon René Guénon, c'est que les sentiments humains sont venus se mêler à la doctrine, avec pour conséquence l’anthropologisation des principes métaphysiques et, de ce fait, leur dénaturation et leur déviation de leur sens premier. René Guénon évoque notamment ce qu'il appelle le sentimentalisme, présent dans le christianisme.

Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues - page 45

Nous dirons que la religion comporte essentiellement la réunion de trois éléments d’ordres divers : un dogme, une morale, un culte ; partout où l’un quelconque de ces éléments viendra à manquer, on n’aura plus affaire à une religion au sens propre de ce mot. Nous ajouterons tout de suite que le premier élément forme la partie intellectuelle de la religion, que le second forme sa partie sociale, et que le troisième, qui est l’élément rituel, participe à la fois de l’une et de l’autre ; mais ceci exige quelques explications. Le nom de dogme s’applique proprement à une doctrine religieuse ; sans rechercher davantage pour le moment quelles sont les caractéristiques spéciales d’une telle doctrine, nous pouvons dire que, bien qu’évidemment intellectuelle dans ce qu’elle a de plus profond, elle n’est pourtant pas d’ordre purement intellectuel ; et d’ailleurs, si elle l’était, elle serait métaphysique et non plus religieuse. Il faut donc que cette doctrine, pour prendre la forme particulière qui convient à son point de vue, subisse l’influence d’éléments extra-intellectuels, qui sont, pour la plus grande part, de l’ordre sentimental ; le mot même de « croyances », qui sert communément à désigner les conceptions religieuses, marque bien ce caractère, car c’est une remarque psychologique élémentaire que la croyance, entendue dans son acception la plus précise, et en tant qu’elle s’oppose à la certitude qui est tout intellectuelle, est un phénomène où la sentimentalité joue un rôle essentiel, une sorte d’inclination ou de sympathie pour une idée, ce qui, d’ailleurs, suppose nécessairement que cette idée est elle-même conçue avec une nuance sentimentale plus ou moins prononcée.

Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues - page 46

On peut comprendre maintenant pourquoi nous disions précédemment qu’il est difficile d’appliquer rigoureusement le terme de religion en dehors de l’ensemble formé par le Judaïsme, le Christianisme et l’lslamisme, ce qui confirme la provenance spécifiquement judaïque de la conception que ce mot exprime actuellement. C’est que, partout ailleurs, les trois parties que nous venons de caractériser ne se trouvent pas réunies dans une même conception traditionnelle ; ainsi, en Chine, nous voyons le point de vue intellectuel et le point de vue social, d’ailleurs représentés par deux corps de tradition distincts, mais le point de vue moral est totalement absent, même de la tradition sociale. Dans l’Inde également, c’est ce même point de vue moral qui fait défaut : si la législation n’y est point religieuse comme dans l’Islam, c’est qu’elle est entièrement dépourvue de l’élément sentimental qui peut seul lui imprimer le caractère spécial de moralité ; quant à la doctrine, elle est purement intellectuelle, c’est-à-dire métaphysique sans aucune trace non plus de cette forme sentimentale qui serait nécessaire pour lui donner le caractère d’un dogme religieux, et sans laquelle le rattachement d’une morale à un principe doctrinal est d’ailleurs tout à fait inconcevable.

Au contraire, on constate dans les sociétés traditionnelles orientales une absence de considération morale pour traiter des grands principes. Le terme « justice », par exemple, qui sert parfois de traduction au terme « dharma », ne comporte pas de connotation morale comme c’est le cas pour les occidentaux.

Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues - page 102

Pour ceux qui veulent à toute force voir une religion dans la tradition hindoue, il resterait alors ce qu’ils croient être la morale, et c’est celle-ci qui serait appelée plus précisément dharma ; de là, suivant les cas, des interprétations diverses et plus ou moins secondaires comme celles de « vertu », de « justice », de « mérite », de « devoir », toutes notions exclusivement morales en effet, mais qui par cela même, ne rendent à aucun degré la conception dont il s’agit. Le point de vue moral, sans lequel ces notions sont dépourvues de sens, n’existe point dans l’Inde ; nous y avons déjà suffisamment insisté
[...]
Dans ces conditions, ce qui est adharma, ce n’est point le « péché » au sens théologique, non plus que le « mal » au sens m oral, notions qui sont aussi étrangères l’une que l’autre à l’esprit hindou ; c’est simplement la « non-conformité » avec la nature des êtres, le déséquilibre, la rupture de l’harmonie, la destruction ou le renversement des rapports hiérarchiques. Sans doute, dans l’ordre universel, la somme de tous les déséquilibres particuliers concourt toujours à l’équilibre total, que rien ne saurait rompre ; mais, en chaque point pris à part et en lui-même, le déséquilibre est possible et concevable et , que ce soit dans l’application sociale ou ailleurs, il n’est point besoin de lui attribuer le moindre caractère m oral pour le définir comme contraire, selon sa portée propre, à la « loi d’harmonie » qui régit à la fois l’ordre cosmique et l’ordre humain. Le sens de la « loi » étant ainsi précisé, et d’ailleurs dégagé de toutes les applications particulières et dérivées auxquelles il peut donner lieu, nous pouvons accepter ce mot de « loi » pour traduire dharma, d’une façon encore imparfaite sans doute, mais moins inexacte que les autres termes empruntés aux langues occidentales ; seulement, encore une fois, ce n’est nullement de loi morale qu’il s’agit, et les notions mêmes de loi scientifique et de loi sociale ou juridique ne se réfèrent ici qu’à des cas spéciaux. La « loi » peut être envisagée en principe comme un « vouloir universel », par une transposition analogique qui ne laisse d’ailleurs subsister dans une telle conception rien de personnel, ni , à plus forte raison, rien d’anthropomorphique.

VIII/ Conséquences sociales de la sécularisation des sociétés

8.1 La perte de sens

L’errance a pris le pas sur l’enracinement, l’absurdité et le relativisme sur le sens ; provoquant un désarroi croissant chez bon nombre de nos contemporains. La salariat a remplacé le métier, l’homme-machine est devenu la pièce interchangeable d’un système censément à son service.

La Crise du monde moderne – page 66

Dans ces conditions, l'industrie n'est plus seulement une application de la science, application dont celle-ci devrait, en elle-même, être totalement indépendante ; elle en devient comme la raison d'être et la justification, de sorte que, ici encore, les rapports normaux se trouvent renversés. Ce à quoi le monde moderne a appliqué toutes ses forces, même quand il a prétendu faire de la science à sa façon, ce n'est en réalité rien d'autre que le développement de l'industrie et du « machinisme » ; et, en voulant ainsi dominer la matière et la ployer à leur usage, les hommes n'ont réussi qu'à s'en faire les esclaves, comme nous le disions au début : non seulement ils ont borné leurs ambitions intellectuelles, s'il est encore permis de se servir de ce mot en pareil cas, à inventer et à construire des machines, mais ils ont fini par devenir véritablement machines eux-mêmes. En effet, la « spécialisation », si vantée par certains sociologues sous le nom de « division du travail », ne s'est pas imposée seulement aux savants, mais aussi aux techniciens et même aux ouvriers, et, pour ces derniers, tout travail intelligent est par là rendu impossible ; bien différents des artisans d'autrefois, ils ne sont plus que les serviteurs des machines, ils font pour ainsi dire corps avec elles ; ils doivent répéter sans cesse, d'une façon toute mécanique, certains mouvements déterminés, toujours les mêmes, et toujours accomplis de la même façon, afin d'éviter la moindre perte de temps ; ainsi le veulent du moins les méthodes américaines qui sont regardées comme représentant le plus haut degré du «progrès ». En effet, il s'agit uniquement de produire le plus possible ; on se soucie peu de la qualité, c'est la quantité seule qui importe ; nous revenons une fois de plus à la même constatation que nous avons déjà faite en d'autres domaines : la civilisation moderne est vraiment ce qu'on peut appeler une civilisation quantitative, ce qui n'est qu'une autre façon de dire qu'elle est une civilisation matérielle.

8.2 La massification

Le règne de la quantité a ouvert la porte aux guerres de masse dont René Guénon fut témoin en son temps

La Crise du monde moderne – page 67

Du reste, en dehors de la question des rapports de l'Orient et de l'Occident, il est facile de constater qu'une des plus notables conséquences du développement industriel est le perfectionnement incessant des engins de guerre et l'augmentation de leur pouvoir destructif dans de formidables proportions. Cela seul devrait suffire à anéantir les rêveries « pacifistes » de certains admirateurs du « progrès » moderne ; mais les rêveurs et les « idéalistes » sont incorrigibles, et leur naïveté semble n'avoir pas de bornes. L'« humanitarisme » qui est si fort à la mode ne mérite assurément pas d'être pris au sérieux ; mais il est étrange qu'on parle tant de la fin des guerres à une époque où elles font plus de ravages qu'elles n'en ont jamais fait, non seulement à cause de la multiplication des moyens de destruction, mais aussi parce que, au lieu de se dérouler entre des armées peu nombreuses et composées uniquement de soldats de métier, elles jettent les uns contre les autres tous les individus indistinctement, y compris les moins qualifiés pour remplir une semblable fonction.

Le consumérisme de masse est un miroir aux alouettes répondant à des besoins sans cesse crées et indéfiniment insatisfaits.

La Crise du monde moderne – page 69

Cependant, plaçons-nous pour un instant au point de vue de ceux qui mettent leur idéal dans le « bien-être » matériel, et qui, à ce titre, se réjouissent de toutes les améliorations apportées à l'existence par le « progrès » moderne ; sont-ils bien sûrs de n'être pas dupes ? Est-il vrai que les hommes soient plus heureux aujourd'hui qu'autrefois, parce qu'ils disposent de moyens de communication plus rapides ou d'autres choses de ce genre, parce qu'ils ont une vie plus agitée et plus compliquée ? Il nous semble que c'est tout le contraire : le déséquilibre ne peut être la condition d'un véritable bonheur ; d'ailleurs, plus un homme a de besoins, plus il risque de manquer de quelque chose, et par conséquent d'être malheureux ; la civilisation moderne vise à multiplier les besoins artificiels, et, comme nous le disions déjà plus haut, elle créera toujours plus de besoins qu'elle n'en pourra satisfaire, car, une fois qu'on s'est engagé dans cette voie, il est bien difficile de s'y arrêter, et il n'y a même aucune raison de s'arrêter à un point déterminé.

A ces dérives identifiées par René Guénon en son temps, nous pouvons en ajouter d’autres, plus contemporaines. Par exemple, le tourisme de masse qui dénature les lieux prisés en raison même de leur préservation ; ou encore le narcissisme de masse qui, conjugué à la culture de masse, permet de démultiplier les motifs de loisirs de l’individu-consommateur. D’une façon générale, la culture de masse impulsée par l’Occident tend à niveler sur ses propres standards l’horizon mental des régions glissant sous son influence.

8.3 Le risque systémique

L'Occident est une unité de fait, sa sécularisation impliquant de n'être plus rattaché à aucune transcendance. Dès lors, il se montre fragile et non résilient en cas de dysfonctionnement de l'un de ses derniers motifs de cohésion : son économie

Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues - page 33

Il est fort difficile de trouver actuellement un principe d’unité à la civilisation occidentale ; on pourrait même dire que son unité, qui repose toujours naturellement sur un ensemble de tendances constituant une certaine conformité mentale, n’est plus véritablement qu’une simple unité de fait, qui manque de principe comme en manque cette civilisation elle-même, depuis que s’est rompu, à l’époque de la Renaissance et de la Réforme, le lien traditionnel d’ordre religieux qui était précisément pour elle le principe essentiel, et qui en faisait, au moyen âge, ce qu’on appelait la «Chrétienté ». L’intellectualité occidentale ne pouvait avoir à sa disposition, dans les limites où s’exerce son activité spécifiquement restreinte, aucun élément traditionnel d’un autre ordre qui fût susceptible de se substituer à celui-là ; nous entendons qu’un tel élément ne pouvait, hors des exceptions incapables de se généraliser dans ce milieu, y être conçu autrement qu’en mode religieux.

René Guénon anticipe les risques systémiques plus graves à venir et, même si l’urgence ne se faisait pas sentir à son époque, on devine en filigrane celui lié à la dégradation accélérée de l’écosystème et de l’environnement.

La Crise du monde moderne – page 68

Comme le danger des inventions, même de celles qui ne sont pas expressément destinées à jouer un rôle funeste à l'humanité, et qui n'en causent pas moins tant de catastrophes, sans parler des troubles insoupçonnés qu'elles provoquent dans l'ambiance terrestre, comme ce danger, disons-nous, ne fera sans doute qu'augmenter encore dans des proportions difficiles à déterminer, il est permis de penser, sans trop d'invraisemblance, ainsi que nous l'indiquions déjà précédemment, que c'est peut-être par-là que le monde moderne en arrivera à se détruire lui-même, s'il est incapable de s'arrêter dans cette voie pendant qu'il en est encore temps.

(A suivre...)
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Message  SFuchs Mar 25 Oct 2022 - 12:41


IX/ La constitution de l'homme, sa place dans l'univers, sa destinée

9.1 Constitution de l'homme

L’homme tire en dernière analyse sa réalité de sa participation au Soi, c’est-à-dire à Atma et Brahma

L'homme et son devenir selon le Vedanta - page 16

Le « Soi », même pour un être quelconque, est identique en réalité à Âtmâ, puisqu’il est essentiellement au-delà de toute distinction et de toute particularisation ; et c’est pourquoi, en sanskrit, le même mot âtman, aux cas autres que le nominatif, tient lieu du pronom réfléchi « soi-même ». Le « Soi » n’est donc point vraiment distinct d’Âtmâ, si ce n’est lorsqu’on l’envisage particulièrement et « distinctivement » par rapport à un être, et même, plus précisément, par rapport à un certain état défini de cet être, tel que l’état humain, et, seulement en tant qu’on le considère sous ce point de vue spécialisé et restreint.

L'homme et son devenir selon le Vedanta - page 17

Ce reflet dont nous parlons détermine ce qu’on peut appeler le centre de cette individualité ; mais, si on l’isole de son principe, c’est-à-dire du « Soi » lui-même, il n’a qu’une existence purement illusoire, car c’est du principe qu’il tire toute sa réalité, et il ne possède effectivement cette réalité que par participation à la nature du « Soi », c’est-à-dire en tant qu’il s’identifie à lui par universalisation.

L'homme et son devenir selon le Vedanta - page 19

Il résulte de là que l’individualité humaine est à la fois beaucoup plus et beaucoup moins que ne le croient d’ordinaire les Occidentaux : beaucoup plus, parce qu’ils n’en connaissent guère que la modalité corporelle, qui n’est qu’une portion infime de ses possibilités ; mais aussi beaucoup moins, parce que cette individualité, loin d’être réellement l’être total, n’est qu’un état de cet être, parmi une indéfinité d’autres états, dont la somme elle-même n’est encore rien au regard de la personnalité, qui seule est l’être véritable, parce qu’elle seule est son état permanent et inconditionné, et qu’il n’y a que lui qui puisse être considéré comme absolument réel. Tout le reste, sans doute, est réel aussi, mais seulement d’une façon relative, en raison de sa dépendance à l’égard du principe et en tant qu’il en reflète quelque chose, comme l’image réfléchie dans un miroir tire toute sa réalité de l’objet sans lequel elle n’aurait aucune existence ; mais cette moindre réalité, qui n’est que participée, est illusoire par rapport à la réalité suprême, comme la même image est aussi illusoire par rapport à l’objet ; et, si l’on prétendait l’isoler du principe, cette illusion deviendrait irréalité pure et simple. On comprend par-là que l’existence, c’est-à-dire l’être conditionné et manifesté, soit à la fois réelle en un certain sens et illusoire en un autre sens ; et c’est un des points essentiels que n’ont jamais compris les Occidentaux qui ont outrageusement déformé le Vêdânta par leurs interprétations erronées et pleines de préjugés.

L'homme et son devenir selon le Vedanta - page 22

Ce dont il s’agit véritablement, ce n’est pas même seulement l’« âme vivante » (jîvâtmâ), c’est-à-dire la manifestation particulière du « Soi » dans la vie (jîva), donc dans l’individu humain, envisagé plus spécifiquement sous l’aspect vital qui exprime une des conditions d’existence définissant proprement son état, et qui d’ailleurs s’applique à tout l’ensemble de ses modalités. En effet, métaphysiquement, cette manifestation ne doit pas être considérée séparément de son principe, qui est le « Soi » ; et, si celui-ci apparaît comme jîva dans le domaine de l’existence individuelle, donc en mode illusoire, il est Âtmâ dans la réalité suprême.

L'homme et son devenir selon le Vedanta - page 23

Le « Soi » n’est que potentiellement dans l’individu, tant que l’« Union » n’est pas réalisée, et c’est pourquoi il est comparable à une graine ou à un germe ; mais l’individu et la manifestation tout entière ne sont que par lui et n’ont de réalité que par participation à son essence, et il dépasse immensément toute existence, étant le Principe unique de toutes choses.

Les enveloppes ou phases de manifestation, du Soi à l’être individuel, sont au nombre de cinq selon le Vedanta

L'homme et son devenir selon le Vedanta - page 45

Purusha ou Âtmâ, se manifestant comme jîvâtmâ dans la forme vivante de l’être individuel, est regardé, selon le Vêdânta, comme se revêtant d’une série d’ « enveloppes » (koshas) ou de « véhicules » successifs, représentant autant de phases de sa manifestation, et qu’il serait d’ailleurs complètement erroné d’assimiler à des « corps », puisque c’est la dernière phase seulement qui est d’ordre corporel. Il faut bien remarquer, du reste, qu’on ne peut pas dire, en toute rigueur, qu’Âtmâ soit en réalité contenu dans de telles enveloppes, puisque, de par sa nature même, il n’est susceptible d’aucune limitation et n’est nullement conditionné par quelque état de manifestation que ce soit.

Enumération des enveloppes (source : Wikipédia : Corps subtils)

Le corps grossier (sthûla-sharîra), contient une enveloppe :
   [1] le corps physique (annamaya-kosha) ;

[II] le corps fin ou subtil (sûkshma-sharîra) contient trois enveloppes :
   [2] l'enveloppe d'énergie vitale (prânamaya-kosha),
   [3] l'enveloppe mentale (manomaya-kosha),
   [4] l'enveloppe de l'intellect (vijñânamaya-kosha) ;

[III] le corps causal (kârana-sharîra) contient une seule enveloppe :
   [5] l'enveloppe de béatitude ou de la félicité (ânandamaya-kosha).


Au cœur de cette série d’enveloppe réside pour chaque être l’âme vivante : jîvâtmâ, reflet d’Âtmâ dans l’existence individuelle.

Le Védanta, la métaphysique et la Tradition dans l'oeuvre de René Guénon - Lecture commentée Guenon_06

Les enveloppes de l’être, du Principe universel jusqu’à l’état individuel manifesté


9.2 Place de l'homme dans l'univers

L’état individuel humain n’occupe pas de place privilégiée dans l’Existence

Les états multiples de l'être - page 1

En réalité, cet état humain n’est qu’un état de manifestation comme tous les autres, et parmi une indéfinité d’autres ; il se situe, dans la hiérarchie des degrés de l’Existence, à la place qui lui est assignée par sa nature même, c’est-à-dire par le caractère limitatif des conditions qui le définissent, et cette place ne lui confère ni supériorité ni infériorité absolue

Le Symbolisme de la Croix - page 10

L’individu, même envisagé dans toute l’extension dont il est susceptible, n’est pas un être total, mais seulement un état particulier de manifestation d’un être, état soumis à certaines conditions spéciales et déterminées d’existence, et occupant une certaine place dans la série indéfinie des états de l’être total.

Les états multiples de l'être - page 19

Ce qui précède contient, dans toute son universalité, le fondement de la théorie des états multiples : si l’on envisage un être quelconque dans sa totalité, il devra comporter, au moins virtuellement, des états de manifestation et des états de non-manifestation, car ce n’est que dans ce sens qu’on peut parler vraiment de « totalité » ; autrement, on n’est en présence que de quelque chose d’incomplet et de fragmentaire, qui ne peut pas constituer véritablement l’être total. La non manifestation, avons-nous dit plus haut, possède seule le caractère de permanence absolue ; c’est donc d’elle que la manifestation, dans sa condition transitoire, tire toute sa réalité ; et l’on voit par-là que le Non-Être, loin d’être le « néant », serait exactement tout le contraire, si toutefois le « néant » pouvait avoir un contraire, ce qui lui supposerait  encore un certain degré de « positivité », alors qu’il n’est que la « négativité » absolue, c’est-à-dire la pure impossibilité. Cela étant, il en résulte que ce sont essentiellement les états de non-manifestation qui assurent à l’être la permanence et l’identité ; et, en dehors de ces états, c’est-à-dire si l’on ne prend l’être que dans la manifestation, sans le rapporter à son principe non-manifesté, cette permanence et cette identité ne peuvent être qu’illusoires, puisque le domaine de la manifestation est proprement le domaine du transitoire et du multiple, comportant des modifications continuelles et indéfinies.


9.3 Réalisation métaphysique

La réalisation métaphysique est un des motifs individuels pour se pencher sur la Connaissance

Les états multiples de l’être – page 2

Maintenant, si l’on veut, toujours en ce qui concerne la considération de l’état humain, relier le point de vue individuel au point de vue métaphysique, comme on doit toujours le faire s’il s’agit de « science sacrée », et non pas seulement de savoir « profane », nous dirons ceci : la réalisation de l’être total peut s’accomplir à partir de n’importe quel état pris comme base et comme point de départ, en raison même de l’équivalence de tous les modes d’existence contingents au regard de l’Absolu ; elle peut donc s’accomplir à partir de l’état humain aussi bien que de tout autre, et même, comme nous l’avons déjà dit ailleurs, à partir de toute modalité de cet état, ce qui revient à dire qu’elle est notamment possible pour l’homme corporel et terrestre.

L'homme et son devenir selon le Vedanta - page 90

Cependant, il n’en est pas moins vrai que le passage à certains états supérieurs constitue comme un acheminement vers la « Délivrance », qui est alors « graduelle » (krama-mukti), de la même façon que l’emploi de certains moyens appropriés, tels que ceux du Hatha-Yoga, est une préparation efficace, bien qu’il n’y ait assurément aucune comparaison possible entre ces moyens contingents et l’«Union » qu’il s’agit de réaliser en les prenant comme « supports ». Mais il doit être bien entendu que la «Délivrance », lorsqu’elle sera réalisée, impliquera toujours une discontinuité par rapport à l’état dans lequel se trouvera l’être qui l’obtiendra, et que, quel que soit cet état, cette discontinuité ne sera ni plus ni moins profonde, puisque, dans tous les cas, il n’y a, entre l’état de l’être « non-délivré » et celui de l’être « délivré », aucun rapport comme il en existe entre différents états conditionnés.


Dans la réalisation totale de l’être, être et connaître sont une seule et même réalité : c’est l’Identité Suprême

Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues - page 137

Le caractère incommunicable de la connaissance totale et définitive provient de ce qu’il y a nécessairement d’inexprimable dans l’ordre métaphysique, et aussi de ce que cette connaissance, pour être vraiment tout ce qu’elle doit être, ne se borne pas à la simple théorie, mais comporte en elle-même la réalisation correspondante ; c’est pourquoi nous disons qu’elle n’est susceptible d’être enseignée que dans une certaine mesure et l’on voit que cette restriction s’applique sous le double rapport de la théorie et de la réalisation, encore que ce soit pour cette dernière que l’obstacle soit le plus absolument insurmontable.
[...]
Il est vrai, d’autre part, que la compréhension, même théorique, et à partir de ses degrés les plus élémentaires, suppose un effort personnel indispensable, et est conditionnée par les aptitudes réceptives spéciales de celui à qui un enseignement est communiqué ; il est trop évident qu’un maître, si excellent soit-il, ne saurait comprendre pour son élève, et que c’est à celui-ci qu’il appartient exclusivement de s’assimiler ce qui est mis à sa portée. S’il en est ainsi, c’est que toute connaissance vraie et vraiment assimilée est déjà par elle-même, non une réalisation effective sans doute, mais du moins une réalisation virtuelle, si l’on peut unir ces deux mots qui, ici, ne se contredisent qu’en apparence ; autrement, on ne pourrait dire avec Aristote qu’un être « est tout ce qu’il connaît ». Quant au caractère purement personnel de toute réalisation, il s’explique très simplement par cette remarque, dont la forme est peut-être singulière, mais qui est tout à fait axiomale, que ce qu’un être est, ce ne peut être que lui-même qui l’est à l’exclusion de tout autre ; s’il est nécessaire de formuler des vérités aussi immédiates, c’est que ce sont précisément celles-là qu’on oublie le plus souvent, et qu’elles comportent d’ailleurs de tout autres conséquences que ne peuvent le croire les esprits superficiels ou analytiques. Ce qui peut s’enseigner, et encore incomplètement, ce ne sont que des moyens plus ou moins indirects et médiats de la réalisation métaphysique, comme nous l’avons indiqué a propos du Yoga, et le premier de tous ces moyens, le plus indispensable, et même le seul absolument indispensable, c’est la connaissance théorique elle-même.

Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues - page 78

En indiquant les caractères essentiels de la métaphysique, nous avons dit qu’elle constitue une connaissance intuitive, c’est-à-dire immédiate, s’opposant en cela à la connaissance discursive et médiate de l’ordre rationnel. L’intuition intellectuelle est même plus immédiate encore que l’intuition sensible, car elle est au-delà de la distinction du sujet et de l’objet que cette dernière laisse subsister ; elle est à la fois le moyen de la connaissance et la connaissance elle-même, et, en elle, le sujet et l’objet sont unifiés et identifiés. D’ailleurs, toute connaissance ne mérite vraiment ce nom que dans la mesure où elle a pour effet de produire une telle identification mais qui, partout ailleurs, reste toujours incomplète et imparfaite ; en d’autres termes, il n’y a de connaissance vraie que celle qui participe plus ou moins à la nature de la connaissance intellectuelle pure, qui est la connaissance par excellence. Toute autre connaissance, étant plus ou moins indirecte, n’a en somme qu’une valeur surtout symbolique ou représentative ; il n’y a de connaissance véritable et effective que celle qui nous permet de pénétrer dans la nature même des choses, et, si une telle pénétration peut déjà avoir lieu jusqu’à un certain point dans les degrés inférieurs de la connaissance, ce n’est que dans la connaissance métaphysique qu’elle est pleinement et totalement réalisable. La conséquence immédiate de ceci, c’est que connaître et être ne sont au fond qu’une seule et même chose ; ce sont, si l’on veut, deux aspects inséparables d’une réalité unique, aspects qui ne sauraient même plus être distingués vraiment là où tout est « sans dualité ».

Les états multiples de l'être - page 105

La Délivrance n’est donc effective qu’autant qu’elle implique essentiellement la parfaite Connaissance de Brahma ; et, inversement, cette Connaissance, pour être parfaite, suppose nécessairement la réalisation de ce que nous avons déjà appelé l’« Identité Suprême ». Ainsi, la Délivrance et la Connaissance totale et absolue ne sont véritablement qu’une seule et même chose ; si l’on dit que la Connaissance est le moyen de la Délivrance, il faut ajouter que, ici, le moyen et la fin sont inséparables, la Connaissance portant son fruit en elle-même, contrairement à ce qui a lieu pour l’action ; et d’ailleurs, dans ce domaine, une distinction comme celle de moyen et de fin ne peut plus être qu’une simple façon de parler, sans doute inévitable lorsqu’on veut exprimer ces choses en langage humain, dans la mesure où elles sont exprimables. Si donc la Délivrance est regardée comme une conséquence de la Connaissance, il faut préciser qu’elle en est une conséquence rigoureusement immédiate ; c’est ce qu’indique très nettement Shankarâchârya : « Il n’y a aucun autre moyen d’obtenir la Délivrance complète et finale que la Connaissance ; seule, celle-ci détache les liens des passions (et de toutes les autres contingences auxquelles est soumis l’être individuel); sans la Connaissance, la Béatitude (Ânanda) ne peut être obtenue. L’action (karma, que ce mot soit d’ailleurs entendu dans son sens général, ou appliqué spécialement à  l’accomplissement des rites) n’étant pas opposée à l’ignorance (avidyâ), elle ne peut l’éloigner; mais la Connaissance dissipe l’ignorance, comme la lumière dissipe les ténèbres. Dès que l’ignorance qui naît des affections terrestres (et d’autres liens analogues) est éloignée (et qu’avec elle toute illusion a disparu), le « Soi » (Âtmâ), par sa propre splendeur, brille au loin (à travers tous les degrés d’existence) dans un état indivisé (pénétrant tout et illuminant la totalité de l’être), comme le soleil répand sa clarté lorsque le nuage est dispersé »

(A suivre...)



Dernière édition par SFuchs le Jeu 27 Oct 2022 - 16:06, édité 4 fois
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Message  SFuchs Jeu 27 Oct 2022 - 14:35

X/ Conclusion

Les intentions de René Guénon

On peut faire le constat, sur la durée, d'une désacralisation de la vie des hommes, un peu partout dans le monde. Les lignées initiatiques garantes de la Tradition se tarissent. Cette dissipation à caractère inéluctable, et donc nécessaire en cette période tardive de Kali Yuga ; pourquoi dès lors s'y opposer ? René Guénon, après avoir été déçu par les milieux catholiques et les milieux maçonniques, espérait former une élite intellectuelle pour satisfaire à plusieurs scénarios : pour un rapprochement Orient/Occident en vue de revivifier la Tradition en Occident. Pour former une élite intellectuelle gardienne de la Tradition. Pour permettre à l'humanité de traverser les épreuves des temps présents et à venir. Pour proposer une voie de réalisation métaphysique aux occidentaux qui seraient disposés à l’emprunter.

Une connaissance des sociétés à actualiser

René Guénon porte un regard sévère sur l'Occident et, par contraste, un regard clément sur les sociétés d'Orient. Pourtant, la société égyptienne dans laquelle il a passé la seconde partie de sa vie a été gagnée par le nationalisme. On constate également des signes de décadence dans le monde islamique. L’Inde semble ne pas avoir entièrement cédé face à la modernité, mais la Chine s'est depuis tournée vers la course à la production matérielle. Par ailleurs, en Occident, on voit éclore des mouvements scientifiques postcartésiens et post-dualistes portant l'idée de systèmes ouverts.

L’union par la connaissance ou Jnana Yoga, voie privilégiée par René Guénon

Pour atteindre à la réalisation métaphysique, René Guénon accorde une importance prépondérante à l’étude du Védanta, c’est-à-dire au Jnana Yoga (Yoga de la connaissance). Il existe pourtant d’autres Yogas, notamment énumérés dans la Bhagavad-Gîta : le Bhakti Yoga (Yoga de dévotion), le Karma Yoga (Yoga de l’action désintéressée)  et bien sûr le Raja Yoga étant décrit comme l’un des six darshanas. Ainsi, selon la loi d’action de chacun (svadharma), il existe une voie privilégiée d’union qui n’est pas nécessairement  le Jnana Yoga comme ce fut le cas pour René Guénon. Par exemple, le passage d’une réalisation virtuelle à une réalisation effective nécessitera, pour bon nombre d’entre nous, une actualisation de cette connaissance virtuelle dans l’existence au travers de l’expérimentation, c’est-à-dire de l’action. Tout approfondissement dans une forme de Yoga ou dans l’une de ses branches conduit, sinon à la Délivrance, à une élévation de la conscience.

René Guénon et son temps

René Guénon a inspiré nombre d'intellectuels, d'artistes, de figures politiques, parfois jusqu'au point de récupération. Ses idées développées dans le Règne de la quantité ont, par exemple, été relayées dans les cercles antimodernes selon un point de vue politique c’est-à dire moderne ; allant difficilement au-delà de la réaction ou de la critique des temps contemporains : on pense notamment à Julius Evola. René Guénon a mis en garde contre tout engagement politique, particulièrement s’il se réclame de sa pensée. Il a également inspiré les surréalistes mais gardé ses distances avec eux puisque leur démarche onirique était incompatible avec toute idée traditionnelle. Il a été accueilli favorablement par les milieux traditionalistes catholiques avant que ceux-ci ne réalisent les conséquences de son propos : placer la doctrine traditionnelle de forme orientale au-dessus de la doctrine catholique. Bref, René Guénon a attiré à lui bon nombre de penseurs, voyant en lui un compagnon de route mais s'en détournant au moment de réaliser les implications radicales de son propos.
Par ailleurs, l'homme René Guénon n'est pas exempt de contradictions. Il a quitté le catholicisme alors qu'il invitait ses interlocuteurs à approfondir leur enracinement dans leur propre foi. Il est resté aux portes de l'hindouisme en raison de la loi des castes que, par ailleurs, il défendait. Il est entré dans le soufisme tout en se défendant d'être musulman. Il est entré dans l'arène du combat des idées tout en relativisant l'importance de l'action dans une forme de réalisation.

Conclusion personnelle

Au-delà de ses contradictions qui sont celles de tout homme, René Guénon propose une présentation inégalée de la métaphysique, ouvrant sur des perspectives illimitées. Son oeuvre me semble incontournable, particulièrement sur la question de la réalisation métaphysique qui est aussi, à notre échelle, la question de la réalisation individuelle, quand bien même celle-ci ne serait rien, ou si peu, au regard de l'Infini.


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Message  Freya Sam 29 Oct 2022 - 17:43

Bonjour Simon,

Tu as fait un gros travail !


"Au cœur de cette série d’enveloppe réside pour chaque être l’âme vivante : jîvâtmâ, reflet d’Âtmâ dans l’existence individuelle.


Le Védanta, la métaphysique et la Tradition dans l'oeuvre de René Guénon - Lecture commentée Guenon10


Les enveloppes de l’être, du Principe universel jusqu’à l’état individuel manifesté"


Cette image illustre bien les différents véhicules ou corps dont dispose l’être humain. Le dernier, celui de l’âme qui contient l’Esprit est aussi le moins dense et donc le plus clair, i.e. blanc-bleuâtre. A partir du sommet de la tête, l’âme a la forme d’une flamme dont on peut toucher l’extrémité en levant les bras au-dessus de la tête et en faisant se toucher les extrémités des doigts des deux mains.
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